A propos de l’opposition du droit et de la tradition

Qu’il appartienne à l’essence du droit de ne pas se réduire au fait qu’il constitue lui-même, c’est ce qui permet de trancher la difficulté que représenterait sa simple confrontation à la coutume.

Il semblerait en effet que l’irréductibilité absolue du droit au fait ne soit qu’une des déterminations de fait de la culture occidentale, et qu’à mettre en avant la nécessité inconditionnelle du respect des ” droits de l’homme “, on ne fasse que reporter sur le terrain ” idéologique ” une colonisation qui aurait échoué sur le terrain militaire. Et certes, des sociétés de castes, ou dans lesquelles la condition féminine est littéralement abominable (soumission à l’autorité des pères, des frères, et des maris, mariage forcé, polygamie, répudiation, excision et infibulation des petites filles…), peuvent bien retourner à l’Occidental cette nécessité du respect de l’Autre dont il fait le principe de sa critique, et lui emprunter son langage pour souligner l’égale détermination culturelle de la coutume et du droit : l’impératif concret serait de respecter les cultures chacune dans son identité, et de ne pas plaquer sur les unes des critères qui n’ont de sens qu’à propos des autres. Mais, outre qu’on produirait ainsi une contradiction entre un contenu d’énoncé et un statut d’énonciation, ce serait oublier l’essentiel, à savoir que si la coutume est en fin de compte son propre fait, il appartient à l’essence du droit qu’il soit, lui, en fin de compte son propre droit et non pas son propre fait : c’est seulement un fait que la coutume existe et, dans son caractère normatif et coercitif, qu’elle soit respectée ; mais c’est une nécessité de droit qu’il y ait le droit – puisqu’à propos de la position de n’importe quel fait, celui de la coutume aussi bien que celui du droit, il est encore nécessaire d’avoir raison ou d’avoir tort. C’est donc seulement à dénier à sa propre pensée la consistance juridique qu’elle adopte nécessairement en dernier ressort (” j’ai le droit de refuser le droit “) qu’on peut choisir la tradition contre le respect humain. Dénégation et haine de soi que partagent tant le fanatisme ou la duplicité des uns que la mauvaise conscience des autres.

© Editions L’Harmattan, Paris