Cours du 13 mai 05

Qu’est-ce qu’une plainte ? (5)

Toute plainte est une adresse, et plus précisément une demande. Que demande-t-on quand on se plaint ? Telle est la question sur laquelle je vais finir cette année, en développant dans les prochaines séances les réponses que la raison essentielle de se plaindre, à savoir la distinction entre être soi et l’être vraiment telle qu’elle insiste dans une pluralité d’objets, impose qu’on lui apporte.

Une plainte est d’abord une demande de distinction

La mention des objets demandés dans la plainte  ne manquera pas d’être paradoxale. Car au-delà des indications évidentes qui correspondent toutes à des manques dans l’assurance d’être le sujet qu’on est (demande de soins, demande de reconnaissance, demande de compréhension ou de compassion, sans oublier bien sûr la demande de justice…), il faut trouver des réponses qui correspondent au véritable enjeu de la plainte qui est l’impossibilité, pour un sujet, de n’être pas depuis toujours constitué comme sujet par sa vocation à la vérité. Cela revient à dire que toute plainte est une demande qui porte d’une manière ou d’une autre sur la distinction, laquelle est toujours, comme on sait, celle de ce qui compte et de ce qui importe, puisque c’est ainsi qu’il faut réfléchir l’impact de la vérité qui change tout sans rien modifier. Se plaindre,c’est d’abord demander à être distingué. Indiquer sa douleur, non, puisque le savoir y vient idéalement recouvrir le réel : c’est seulement demander à être apaisé. Mais indiquer sa souffrance, justement parce qu’elle procède de ce que le savoir n’égale pas la vérité et que cette place est celle du sujet en extériorité à lui-même, c’est déjà se distinguer. Par là même la plainte est-elle la demande que cette distinction soit entérinée par l’autorité, ne serait-ce que de l’auditeur : c’est une distinction et pas une différence, une impossibilité que le savoir du sujet égale sa vérité et non pas un nouvel élément d’un savoir possible, qui fait donc appel à une décision, celle d’admettre que le vrai soit vrai (puisqu’on ne peut le constater contrairement à ce qu’il en est du réel, ni le justifier contrairement à ce qu’il en est de l’authentique).

 L’expérience la plus quotidienne atteste de cette vérité : dès qu’il trouve une oreille complaisante ou captive, le commun des mortels se lance dans la geste des opérations qu’il a subies, des régimes qu’il doit observer et des traitements qu’il doit suivre, des difficultés qu’on a rencontrées pour lui administrer des remèdes qui ne pouvaient dès lors plus être communs, en insistant bien sur la singularité de son cas et sur les perplexités qu’il a provoquées chez les médecins. Et si ce discours est reçu, alors c’est la distinction elle-même qui l’est. Enjeu premier de la plainte, donc : non pas qu’il ait été, par exemple, un malade, mais qu’il l’ait été vraiment. Voilà ce que l’écoute de la plainte doit avérer, et rien n’est plus gratifiant pour le plaignant que de voir attester qu’en effet il est un vrai (un vrai malade, une vraie victime, un vrai professionnel ou tout ce qu’on voudra d’autre). Parce que nous nous plaignons et que nous recueillons les plaintes, nous savons tous d’expérience que la plainte est une demande de passage d’être à être vraiment.

L’écoute acquiesçante d’un quelconque semblable devenu autorité du seul fait qu’il ait écouté n’apporte pas de la compréhension mais de la distinction – des deux côtés, d’ailleurs, puisque seul un sujet distingué peut reconnaître la distinction (ce qui permet peut-être de rendre compte de l’universalité du discours victimaire dans un monde pourtant si égoïste). Le distingué se reconnaît à ceci qu’il distingue (par exemple le bourgeois distingué a du goût, alors que le parvenu accumule des objets coûteux). En se plaignant, on distingue : on ne se plaint pas à n’importe qui mais seulement à quelqu’un dont on reconnaît l’autorité (cela dit, un quidam peut avoir l’autorité disons de l’homme de la rue ou du Français moyen et en ce sens n’être pas n’importe qui pour la raison paradoxale qu’il est n’importe qui : il y a des gens dont la conformité à la moyenne est étonnante). Ce qu’on peut traduire en disant qu’on accorde de l’autorité à quelqu’un dès lors qu’on se plaint auprès de lui. On attend donc de cette autorité qu’elle reconnaisse cette reconnaissance, ou plus exactement qu’elle la valide ! Car la question n’est pas celle de la reconnaissance des consciences, comme on pourrait l’imaginer quand on méconnaît que la plainte engage toujours la question de la vérité, mais celle de la validité de la demande de distinction. Il est en effet évident que ne peut demander une distinction que celui qui est déjà distingué. Bref, on attend toujours de l’autorité qu’elle avère qu’on est un « vrai » (le plus souvent dans la vie sociale : on demande à l’autorité d’attester qu’on est une vraie victime et pas simplement une victime).

Se plaindre, c’est distinguer celui à qui l’on s’adresse : en faire un distingué (ou cautionner , c’est-à-dire décider, qu’il le soit). Le distingué est ce qui marque. La marque n’est rien d’autre que le rapport à la distinction, pour ce qui a été distingué (si elle était quelque chose, il s’agirait de la trace, du signe, ou de l’effet – et au mieux on parlerait de l’authentique et non pas du vrai). C’est pourquoi on peut dire que toute plainte est une demande de marque : qu’être distingué s’entende comme l’effet d’avoir été compté. Car se plaindre, c’est toujours s’adresser à celui qui compte (l’autorité, donc), précisément pour qu’il nous compte. S’il nous compte, par opposition à constater notre semblance (par exemple : il nous reconnaît être un vrai malade, par opposition à être un malade), alors il aura produit une distinction en nous dont, sous le nom de marque, nous pourrons faire le principe de notre singularité : non seulement nous aurons été distingués, mais nous serons désormais distingués.

On voit que toute plainte implique en elle une demande de filiation : celui qui se plaint s’adresse à quelqu’un dont il voudrait être compté, et dont par là même il a reconnu le statut d’exception inconsistante, autrement dit la distinction. On peut donc imaginer que la plaint se formule dans cette prosopopée « dis-moi que je suis ton fils » – au terme de quoi celui qui aura été plaint apparaîtra à ses propres yeux comme un élu. Voilà ce qu’il faut obtenir, à l’horizon de la plainte qu’on adresse à l’autorité : la distinction pour soi. L’élu, c’est le même que les autres, sauf que ça ne compte pas parce qu’il est porteur de la distinction suprême, ou plus exactement de l’archétype de toute distinction qui est la promesse, parole qui fait que la réalité ne compte pas (à commencer par ce qu’on a appelé « la meilleure des excuses » et qui est la mort propre). Il est porté par l’impossibilité que la réalité compte, désormais. Et c’est à cette fin qu’il se plaignait, lui, désormais fils.

Objectivement la réponse à la question de ce que demande le plaignant est donc claire : c’est la marque. La notion de marque n’est pas l’indication d’une chose, qui dès lors ferait différence, mais seulement de la distinction comme telle (toute marque est une promesse et réciproquement) : on réitère que le réel n’est pas le vrai, et donc, subjectivement, qu’il ne suffit pas d’être sujet pour l’être vraiment – le sujet s’entendant précisément de ce que cette insuffisance ne cesse pas d’insister (ce qui s’appelle tout simplement souffrir). Toute plainte est une demande de marque. Le fils est un inter pares – parmi les semblables, c’est lui qui compte aux yeux du père, les autres n’étant que plus ou moins importants (éventuellement plus importants que lui). Et celui qui compte, c’est celui par qui ce n’est pas la réalité (même la sienne propre) qui compte – autrement dit c’est le porteur de la promesse. Voilà ce dont on exige la reconnaissance quand on se plaint. Et c’est vrai aussi bien de la plainte des souffrances les plus banales (se plaindre de souffrir du dos) que de la plainte au sens judiciaire du terme : en « portant plainte », par exemple à propos d’un voisin dont le tapage nous empêche de dormir, on indique implicitement qu’on était porteur d’une promesse dont le dommage empêche la réalisation (si je pouvais dormir la nuit, j’aurais la clarté d’esprit pour écrire de bons livres le jour, ou pour me dévouer à telle cause humanitaire, voire pour réaliser le souhait de mes parents d’avoir un fils notaire ou chef de bureau).

Cette vérité est évidemment paradigmatique : à partir de cette idée de promesse on revient à la question de la vérité personnelle, laquelle consiste tout simplement à tenir la promesse qu’on est depuis toujours, et qui est celle de l’origine.

L’alternative mensongère : revenir en deçà de la distinction ou la réparer

Mais la signification de la plainte a un envers, que constitue une demande de retour avant que la question d’être sujet se pose.

Car si c’est toujours de ne pas pouvoir être sujet qu’on souffre, à cause de la réitération de soi qui définit le sujet (on n’est sujet qu’à l’être de la nécessité de l’être), la demande qu’on mette fin à la souffrance est aussi la demande qu’on mette fin, pour soi, à la question qu’on est pour soi. Plût au ciel que la vie soit simple !

Il faut donc distinguer deux faces de la plainte : une demande de distinction et une demande de régression, une demande de retour avant cette distinction, puisque c’est par elle, pour le malheur d’un vivant désormais malade de lui-même, qu’être sujet est devenu une responsabilité. Car on n’est distingué, comme la singularité du sujet fait qu’il l’est originellement et sans lui, qu’à porter la responsabilité de sa distinction, c’est-à-dire qu’à récuser que ce qui importe puisse jamais compter. Bref, toute plainte est demande de consolation.

Se plaindre, c’est demander à être consolé du malheur d’être soi – « malheur » s’entendant ici depuis l’horizon des biens dont la question du sujet est l’exclusion a priori. Se perdre, ainsi, c’est revenir sur cette exclusion : faire de son bien son affaire, le bien étant commun par opposition au vrai dont il faut singulièrement décider. Impossible de se plaindre sans mettre en avant cette vérité qu’il est seulement possible d’être commun par trahison, le propre de la trahison étant évidemment qu’elle s’appuie sur les meilleures raisons (celles qui, comme telles, ne comptent pas). En somme on se plaint toujours de ce que ce qui compte ne soit pas ce qui importe.

Dès lors imaginera-t-on la plainte comme la demande d’une régression : il est demandé qu’on revienne en deçà de cette distinction qui fait le malheur du sujet, c’est-à-dire son existence de sujet puisqu’elle ne peut différer de la souffrance (dire qu’on souffre de ne pas être sujet, c’est dire qu’on souffre d’être sujet, puisque la question d’être sujet est la constitution même du sujet comme tel). Toute plainte est donc la demande de revenir sur la division dont on est fait entre sa vie et sa vérité. On demande d’être consolé du malheur d’être soi, et dans le même mouvement on radicalise cette demande en souhait de revenir en deçà de ce malheur, là où l’on n’était pas pour soi-même sa propre question. Se plaindre consiste toujours à demander des soins, de l’attention, de l’amour donc du maternel. La demande de justice est demande de réparation, et en ce sens adresse à une entité maternelle, même si cette réparation est symbolique, non pas au sens où elle porterait sur un objet symbole d’autre chose mais au sens où c’est la possibilité même d’être sujet qu’il s’agit de restaurer, après qu’elle ait été abolie par exemple par une agression (où l’on a été mis en position de subir, et donc aboli comme sujet). En ce sens la plainte est un comportement régressif : il s’agit toujours de revenir avant ce qui fait souffrir.

 En l’autre sens aussi la plainte est régressive, puisqu’elle remet à son destinataire la charge du passage, nous la nécessité est notre existence même de sujet, d’être à être vraiment. Ce premier sens dit que toute plainte est une trahison de soi, puisque c’est demander qu’en soi la vérité arrête d’insister. De fait : ceux qui ne se trahissent pas, comme le fait l’immense majorité des humains tout occupée à céder sur l’irréductibilité du vrai au bien (y compris en faisant du vrai un bien propre comme dans le cas du scientifique), ne se plaignent pas, quelles que soient les raisons qu’ils auraient pourtant de le faire – et c’est à la limite insulter l’un d’eux que le plaindre. C’est que la plainte renvoie à une demande de restauration de soi, de retrouvaille avec l’unité perdue alors qu’on n’est soi que depuis sa propre division et surtout que sans soi, et donc en indifférence définitive à une vérité dont c’est seulement par ailleurs, dans une réflexion seconde, qu’on admettra (mais vainement) qu’elle était la nôtre.

En reconnaissant qu’on se plaint toujours de ce qui empêche le passage d’être à être vraiment, on aperçoit que la plainte a pour finalité – et certes il faut bien parler de finalité, puisqu’elle est une demande –qu’on puisse devenir actuellement le sujet de sa propre vérité. En quoi elle n’est pas seulement régressive mais mensongère, puisqu’un sujet n’advient à sa propre vérité qu’en sa propre absence, c’est-à-dire concrètement que dans la nécessité d’une chose qui soit propre à cette chose (une chose qui compte) et non plus au sujet qui s’y serait exprimé (dans cette hypothèse, la chose serait importante). La souffrance de la séparation d’avec soi, dont la plainte est la demande de réparation, est simplement celle de l’existence subjective, puisqu’on n’est sujet qu’en absence de soi, là où l’on n’est pas mais où le vrai advient comme tel, c’est-à-dire comme exigeant d’être signé. En somme on se plaint toujours d’exister : on voudrait tellement pouvoir vivre !

Disons-le autrement : non seulement la plainte se constitue de méconnaître l’étrangeté constitutive du sujet relativement à la question de la vérité dont il se constitue, contre sa propre vie et donc l’universelle nécessité des savoirs, d’éprouver l’insistance, mais encore elle entend que cette insistance soit en quelque sorte résolue par un autre, le destinataire auquel on remettrait en somme toute cette affaire – l’affaire d’être soi, pour chacun, c’est-à-dire d’être voué à l’étrangeté radicale d’une vérité dont il n’y a rien à attendre. Je le répète : se plaindre, même de maux anodins, c’est se trahir.

Le mensonge du salut et la question de l’amour

En somme le noyau de la question est que toute plainte est une demande de salut, que le salut du sujet est sa vérité, et que sa vérité ne le concerne pas. De cette contradiction, dont on pourrait montrer qu’elle épuise l’éthique, la plainte est à la fois l’expression et le déni. La notion de salut est simplement l’envers de celle du commun, inséparable d’elle comme le recto d’une feuille l’est de son verso, et c’est pourquoi le rapport commun à la souffrance est un rapport ou bien d’abolition (revenir avant) ou bien de résolution (qu’un savoir salutaire sauve de la souffrance comme un savoir technique doit sauver de la douleur).

La plainte est une trahison parce qu’elle est une demande de réparation, de retour au maternel c’est-à-dire en deçà de la souffrance provoquée en nous par l’exclusivité de la vie et de l’existence. Et certes ceux qui vivent et ceux qui existent, parmi les humains, ne sont pas les mêmes ! Elle est la demande adressée à un autre qu’il prenne sur soi notre responsabilité d’être sujet. Se plaindre à lui c’est en faire le responsable de notre responsabilité : il en sera responsable au sens du sponsor latin : celui qui paiera les dégâts, qui assure que malgré tout cela se passera bien du point de vue des autres, quelle que soit notre défection et donc, puisqu’il s’agit d’éthique, notre lâcheté, notre trahison de la marque par quoi nous sommes des sujets.

L’hypothèse de l’amour correspond au même mensonge. Comment nier que toute plainte soit en même temps demande d’être aimé, c’est-à-dire d’être pris en charge comme sujet et quant à être sujet ?

On pourrait même dire qu’en toute plainte se dit quelque chose comme une demande de caresse, si ce terme renvoie à un toucher qui soit l’identité de l’intransitivité comme épreuve de soi par soi et de l’accueil de soi par l’autre. Et certes la caresse apaise, de nouer ces deux aspects. On demande la paix, en somme, à se plaindre : non seulement avec ce qui nous empêche d’être sujet mais (et donc) avec soi-même. Et si c’est bien de ne pas être vraiment soi-même qui insiste dans la souffrance, alors peut-être accordera-t-on que la plainte serait comme un transfert de responsabilité : celui auprès de qui on l’énonce, et qui a par là même valeur d’autorité, devient le dépositaire de la promesse qu’on est depuis toujours pour soi-même et pour les autres. En lui faisant confiance, en ne craignant pas d’en être abandonné, c’est de ce que cette promesse soit tenue qu’on formule la demande : que l’origine suffise à produire une fidélité dont on serait déchargé.

Ce n’est certes pas le lieu de disserter sur l’amour. Qu’il suffise ici de remarquer d’abord que sa question s’inscrit dans l’horizon des biens (aimer c’est vouloir le bien de l’autre et ce vouloir est notre bien), et ensuite que la personne rencontrée sera comme la cause d’une unité pour soi qui parera en quelque sorte à l’épreuve qui voue le sujet à une vérité, la sienne, dont il n’a rien à attendre. Car l’autre est réel comme l’œuvre est réelle, et surtout, comme elle, il compte. Par la même, il peut désigner le sujet par son vrai nom : ni celui de l’usage habituel ni celui des papiers administratifs, mais celui qui vient de l’impossible et qui est causé par une autorité (celle de l’autre qui compte et qui en ce sens n’est pas le semblable, celle de l’œuvre qui n’exprime pas son auteur). Or cet autre qui compte comme l’œuvre compte, auquel on se définit par conséquent d’être dévoué, par là même et sans qu’on le veuille, il identifie le sujet et l’amène à se représenter (et certes il s’agit de représentation, puisqu’il s’agit de soi en l’autre) comme étant vraiment le sujet qu’il avait à être. Mensonge, donc, que la vérité puisse jamais être représentée – puisqu’elle cause le sujet comme tel et qu’il n’y a, au contraire, de représentation que pour un sujet déjà avéré et surtout commun (le propre d’une représentation est de valoir pour n’importe qui).

Demander de l’amour, c’est demander d’être appelé par son nom depuis la responsabilité qu’un autre serait toujours d’être en train d’en prendre. On n’aurait en somme plus besoin de se faire un nom : le vrai nom serait celui que prononcerait l’aimé (par opposition au nom disponible qu’on peut prononcer soi-même). L’amour sauve, en somme, comme l’expression – et toujours pour le même sujet commun. Si l’amour sauve, alors c’est de l’amour commun qu’il s’agit : celui des gens qui veulent leur bien dont un autre n’est plus que la figure inessentielle, alors qu’on n’aime qu’à se donner, et qu’on ne donne qu’à donner le don lui-même (de même, dans un autre contexte, qu’on n’aime qu’à offrir jusqu’à la possibilité de son salut alors que l’amour du commun consiste à dire que l’on est sauvé d’avoir aimé).

Le sujet commun est précisément défini de ne pouvoir supporter cette vérité et donc la vérité en général : pour lui tout doit toujours se ramener au bien, le renoncement au bien étant alors un bien de nature supérieure (le vrai bien). Or son bien, quand on est dans l’exclusivité de la vie et de l’existence autrement dit quand on est un sujet, c’est qu’un autre paie pour soi le prix d’être sujet : ou celui qui nous aime (question du bien) ou celui qu’on aime (question du vrai bien). Trahison simple ou trahison redoublée : dans un cas simple démission, dans l’autre jouissance d’être sauvé par son mérite, celui de s’être donné, bref d’être justifié. Tout tient toujours à une autre responsabilité et c’est pourquoi se justifier est le comble de la trahison de soi. De fait : se plaindre consiste à conférer au destinataire de la plainte le statut d’autorité de cause du vrai, dont on se lave désormais les mains alors qu’on n’existe qu’à ce que cette nécessité soit à jamais la nôtre.

Honte à nous qui ne cessons de nous plaindre, et pour les meilleures raisons : celles qui justifieraient et qui font espérer. Et certes la plainte est une trahison, puisqu’elle est demande d’humanité et que c’est d’être fait d’inhumanité – l’insistance de la vérité et donc le passage d’être sujet à l’être vraiment – que nous sommes humains.

Je vous remercie de votre attention.