A PROPOS DE LA DISSERTATION EN PHILOSOPHIE
Une pensée ne peut pas être originale en étant naïve et désordonnée, c’est-à-dire en ne supposant pas des connaissances très réelles et en n’étant pas d’une grande rigueur formelle. C’est pourquoi les nécessités scolaires, par définition étrangères à la philosophie où il s’agit de penser par soi-même, sont quand même formatrices et doivent être impérativement assumées par tout le monde. La spécificité de cet exercice et son insertion dans les études se traduisent par des exigences et des exclusions qui valent également comme critères de correction, et qu’on peut pédagogiquement présenter ainsi :
Aspects positifs
– Un exemple concret montre que la question énoncée se pose réellement
– Un problème précis est clairement indiqué en interrogeant le sens de l’énoncé
– Les termes de l’énoncé sont tous pris en compte
– Le chemin à prendre pour résoudre le problème est bien indiqué à la fin de l’introduction
– La progression du devoir obéit à la structure de la notion, ou du problème posé dans l’introduction
– Chaque partie apporte une idée irréductible au reste
– Le cours est intégré à la réflexion (il peut tout à fait être contredit)
– Des lectures personnelles sont mobilisées
– Le résultat d’ensemble est un concept nouveau (ne pas confondre concept et mot – exemple : l’Esprit hégélien est un nouveau concept, mais pas un nouveau mot)
Aspects négatifs
1) L’attitude » bébé » : tenir une parole irresponsable
– Des phrases grammaticalement et/ou sémantiquement absurdes (notamment dans l’usage des coordinations)
– Des phrases remplies de grands mots et de formules absconses dans l’espoir de » faire » philosophique
– Des contradictions qu’on fait semblant de ne pas apercevoir (entres les différentes parties, entre les paragraphes, parfois dans une même phrase)
– Un discours appuyé sur l’autorité abstraite d’un cours ou de textes qu’on n’a pas compris
– Des paragraphes juxtaposés au lieu d’être logiquement enchaînés
2) Le refus de penser
– Des clichés ( » la philosophie est l’amour de la sagesse « )
– Des sottises qui montrent qu’on n’a jamais ouvert un livre ( » les philosophes posent des questions mais ne veulent pas apporter de réponses « )
– Des opinions » personnelles » c’est-à-dire grossièrement idéologiques
– Des généralités ( » l’homme cherche la vérité « )
– Le relativisme paresseux ( » tout cela est subjectif « , » chacun a son opinion « )
– Des formules telles que » l’homme doit » ou » de tout temps l’homme « .
– Des exemples qui remplacent les définitions
– Des exemples dont la signification relativement au problème traité n’est pas clairement dégagée
– Un catalogue d’auteurs
– Des références arbitraires (pourquoi mentionner tel auteur plutôt qu’un autre qui dit autre chose ?)
– Des citations présentées comme arguments ( » Untel dit que…, donc « )
– La thèse d’un auteur présentée comme une donnée ( » Pour Untel,… « ), alors qu’elle est le résultat d’une argumentation précise sur laquelle on fait l’impasse
– L’ambiguïté conceptuelle (rester soigneusement dans le vague à propos de notions vastes comme celles de vérité, de liberté, etc.)
– Des généralisations présentées comme des nécessités universelles
– Usurper un langage (celui du cours ou d’un auteur – exemple : écrire en style lacanien)
– Usurper une pensée (exemple : rendre un devoir kantien)
– Esquiver un problème réel (exemple : la présence du mal dans le monde et en nous) au moyen d’un exposé académique (pour cet exemple : rendre un devoir sur la critique de la finalité par Spinoza ou sur la notion de grandeur négative chez Kant)
3) Contresens sur le principe
Faire un exposé et non une dissertation : un exposé présente du savoir et n’est donc pas concerné par la nécessité de penser ; une dissertation pose et résout un problème, aboutissant à une création conceptuelle.
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Ne jamais rendre une dissertation sans avoir vérifié chacun des points suivants.
L’introduction
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- On donne un exemple concret
- La signification de l’exemple est dégagée
- Un paradoxe est indiqué (quelque chose de » pas normal « )
- Un problème conceptuel est indiqué à partir du paradoxe
- Le chemin à prendre pour le résoudre est indiqué
- Tous les termes de l’énoncé sont pris en compte
- Le problème indiqué est bien celui dont traite l’ensemble du devoir
Le développement
- Le plan procède de la logique du problème dégagé dans l’introduction
- La nécessité de chaque partie est clairement expliquée dans la précédente
- Aucune référence n’est arbitraire
- Chaque partie apporte un élément décisif au traitement du problème
- Chaque affirmation est justifiée (pas par un nom d’auteur ou une citation !)
- On a supprimé les ambiguïtés dans l’usage des notions vastes, ainsi que les allusions de toutes sortes (notamment au cours, que le correcteur est supposé ignorer : ce sont les arguments qu’il faut reprendre ou éventuellement réfuter)
- On a supprimé toutes les opinions » personnelles » et toutes les généralités
La conclusion
- On établit l’importance de ce qu’on a trouvé.
- On ouvre un horizon nouveau.