Hypnose, rêve et séduction
Parce que séduire consiste à détourner de la nécessité représentative, c’est le même de dire que l’objet séduit, que rien ne justifie qu’on s’y assujettisse, que sa réalité ne compte pas. Arguer de la réalité de l’objet pour expliquer la séduction est donc absurde : c’est précisément de ce type d’approche qu’elle est le détournement. Pour la même raison de sortie du savoir et donc du service des biens, on ne séduit jamais en faisant voir les qualités d’un objet ou en faisant reconnaître les avantages qu’il peut présenter. Séduire, c’est donc en tout premier lieu ne pas s’embarrasser de réalisme. C’est dire qu’on ne séduit qu’en ôtant à l’autre la catégorie essentielle du réalisme, qui est paradoxalement la possibilité, dont la notion dit l’identité de la l’essentialité du savoir et du service des biens. Dès lors doit-on reconnaître que ce qui nous séduit nous fait sortir du monde dans lequel des possibilités sont attachées aux choses pour nous faire entrer dans un horizon, celui dont la reconnaissance de l’objet a été le premier moment, qui est celui de l’inéluctabilité. Disons la même chose autrement en rappelant simplement que la séduction est détournement par rapport aux nécessités de la représentation : parce que le savoir ne compte plus quand l’objet qui présente notre vérité de sujet est à la fois contingent et énigmatique, on n’est séduit que là où l’on n’a pas raison de préférer ; or l’ordre où c’est le préférable qui s’impose, c’est le choix ; on n’est donc jamais séduit que par l’éventualité de se retrouver là où la question n’est plus de choisir.
La « vraie » vie dont on tient l’idée de l’objet à la fois contingent et énigmatique, on en a donc une compréhension négative et paradoxale : elle commence là où la nécessité (et donc la possibilité) de choisir est tombée, parce que cette chute est l’effet de la récusation du savoir par l’objet qui s’impose sans raison (contingent) et sans qu’on puisse comprendre à quoi il nous oblige (énigmatique). La reconnaissance de la vérité de l’objet est le premier moment de la vraie vie – le dernier de la vie commune étant la constatation du caractère aberrant ou absurde de cette nécessité (« Mais enfin, tu ne vas pas tout quitter pour une femme dont tu ignorais jusqu’à l’existence il y a dix minutes ! »). C’est dire qu’il n’y a de vraie vie que là où l’on n’a pas le choix. Partout ailleurs, c’est la vie commune : celle de la nécessité subjective du préférable autrement dit celle qui s’impose à tout le monde et vaut pour n’importe qui. Là où le préférable est l’essentiel, le savoir a toujours déjà décidé – puisque c’est lui qui fait apparaître le préférable comme tel (là où je sais, ce n’est pas ma faute si ceci apparaît comme préférable à cela) ; de sorte que le sujet est excusé d’avance. Il n’y a donc pas de différence entre être un sujet quelconque (celui qu’un autre aurait été s’il s’était trouvé à la même place), avoir le choix, et être excusé d’avance (sachant ce que je savais et ignorant ce que j’ignorais, n’importe qui eût fait ce que j’ai fait). Eh bien la vraie vie dont l’objet énigmatique et contingent nous donne l’idée, c’est exactement le contraire : c’est une vie qui soit enfin la nôtre, une vie où l’on n’a pas le choix, une vie où l’on est à jamais sans excuses – bref, une vie dont on soit vraiment le sujet.
Etre un sujet, c’est être sujet de possibles autrement dit choisir. Etre sujet, c’est l’être dans l’objet énigmatique et contingent, autrement dit sans le savoir et donc sans les possibles. Le propre du commun, c’est d’avoir le choix. Le vrai sujet au contraire ne l’est qu’à ce que la contingence et l’énigme de l’objet ait renvoyé tout cela à rien. D’ailleurs tout le monde le sait : n’importe qui peut choisir de faire de la peinture pour occuper son dimanche après-midi ; mais, pour ce qui est de la peinture, Picasso avait-il le choix ? Telle est la différence entre être un sujet pour la peinture, et être sujet de la peinture, entre la vie commune et la vraie vie. Or la peinture, pour celui qui la rencontre (par opposition à l’expérience même savante et raffinée que n’importe qui peut en faire), c’est quelque chose que rien ne nécessite et dont il ne sait pas ce qu’elle lui veut : elle est en quelque sorte sa propre question matérialisée…Ce qui s’appelle familièrement être mis au pied de son propre mur. Un certain enfant espagnol, suite à cette rencontre, aura à être Picasso : il n’y peut rien, et personne n’y peut rien. En ce qui le concerne et à jamais, la vraie vie, c’est de peindre.
On a vu aussi que la notion autorisait des exemples moins sublimes !
Dans tous les domaines et à tous les niveaux le possible a disparu. Dire que la vraie vie consiste à conduire la voiture qui fera de vous un « conquérant » ou à se laver la tête avec le shampoing Untel parce qu’« il vous rend libre dans vos cheveux », c’est dire à chaque fois que la personne concernée n’avait pas le choix et que la vie dont la reconnaissance de l’objet est le premier moment est avant tout caractérisée par l’impossibilité des possibles. Un « conquérant des grands espaces » pourrait-il jamais choisir des réalités minuscules ? Quant à celui qui est « libre dans ses cheveux », a-t-il encore la possibilité d’accepter que son peigne s’accroche quand il se coiffe le matin, ou que des pellicules salissent le col de son veston quand il est en société ? Il est évident que non, et que la séduction consiste précisément en cela.
Or un type d’existence dans lequel le possible soit structurellement banni, c’est-à-dire dans lequel le sujet ne le soit que de l’inéluctable, c’est ce dont nous possédons deux figurations, l’hypnose et le rêve, qui pourraient bien être celle de la séduction même selon qu’elle est l’activité d’un séducteur ou l’effet d’une réalité séduisante. Hypnotiser ou rêver, ont en effet en commun de bannir la réalité commune entendue comme l’ordre de l’anticipable et donc du reconnaissable, d’exclure structurellement le possible de la condition subjective.
Analogie de la séduction et de l’hypnose
La ressemblance de la séduction avec l’hypnose est certaine. Pourtant, il n’est pas possible de confondre la séduction avec l’hypnose, le séducteur avec un hypnotiseur ou l’objet séduisant avec un produit hypnotique. C’est que séduire ne consiste pas à soumettre l’autre à une volonté qui n’aurait pas été spontanément la sienne. Ce n’est pas non plus le soumettre à une suggestion, malgré les apparences objectives et surtout subjectives : certes, l’employé au volant de la nouvelle voiture coincée dans les embouteillages se prendra un peu pour un conquérant et la ménagère qui aura lavé la vaisselle familiale plus vite que d’habitude un peu pour une fée. Mais en réalité il n’en est rien : la séduction ne rend pas fou et ils ne se prennent absolument pas pour ceux qu’ils ont un peu l’impression d’être ! On peut donc parler d’une apparence de suggestion si l’on veut, à condition de préciser que personne n’en est dupe et que le terme « suggestion » est davantage pris dans son usage courant qu’au sens précis des suggestions hypnotiques. Il est vrai que dans l’un et l’autre cas un objet décide du sujet. Mais cet objet n’est pas le même parce que le terme « décision » ne s’entend pas de la même manière : le pendule brillant ou la voix de l’hypnotiseur ont une fonction de fermeture au sens où il accapare tellement l’attention qu’elle n’est plus disponible pour autre chose (par exemple la douleur quand l’hypnose est utilisée pour anesthésier), alors que ce qui nous séduit a au contraire une fonction d’ouverture : la vraie vie est enfin là, dont la reconnaissance de l’objet est le premier moment. En termes de structure, l’objet occupe la place de la décision de soi et la rend par là même impossible : on consent à ce qu’il occupe cette place mais, une fois que c’est fait, l’hypnose est une démission de soi. Dans la séduction, c’est exactement le contraire : l’objet a une fonction de réveil de la responsabilité de soi puisqu’il a pour réalité l’injonction qu’on prenne enfin la responsabilité d’être sujet, qu’on arrête pour une fois de ne pas exister comme on le fait habituellement en faisant ce qu’il va de soi qu’on fasse quand on est dans une situation comme la nôtre, objective et surtout subjective. Bref, l’objet peut être le même, mais son rapport au sujet est exactement inverse : on pourrait dire métaphoriquement que l’objet de l’hypnose endort alors que celui de la séduction réveille, puisque le premier nous dispense d’être sujet alors que le second nous somme de l’être. Rien de plus faux, par conséquent, que l’argument qui voudrait que la séduction soit une emprise dont la personne séduite serait la victime aussi innocente que le patient qui, comme en avait décidé le médecin une semaine auparavant, ne peut pas ne pas se jeter par terre dans le cabinet la semaine suivante. Eh bien non : c’est de faire autorité que l’objet séduit (sa prosopopée est une injonction, une sommation) et, l’autorité résidant tout entière dans la responsabilité que l’autre aura décidé d’en prendre, c’est forcément comme complice et non comme victime de la séduction qu’on en est non pas l’objet mais le destinataire.
Analogie du rêve et de la séduction
La séduction renvoie toujours à un scénario – celui de la « vérité » du sujet qui devient par là même le principe de la « vraie vie », alors même que les notions de vie et de vérité sont en exclusivité réciproque. Or ce scénario de la séduction présente toujours la particularité d’être non seulement irréaliste comme doit l’être tout discours dont le principe est de récuser le savoir en pointant son incommensurabilité à la vérité, mais encore onirique. Etre « un conquérant des grands espaces » pour l’employé de bureau ou « une fée » pour la mère de famille, ce ne sont pas des possibilités ni même des impossibilités au sens où leur situation ne leur permettrait objectivement pas d’être ce que la publicité dit qu’ils seront, mais des rêves. Et c’est parce que nous pensons tous que la séduction a quelque chose du rêve que nous ne sommes pas choqués par des scénarios publicitaires qui, d’un point de vue raisonnable c’est-à-dire réaliste, sont parfaitement aberrants. En effet une grande partie des mises en scènes publicitaires consiste à nous présenter les produits qu’on nous somme d’acheter comme des objets de rêves (légers aériens, surgissant d’eux-mêmes hors de tout contexte) ou prélevés dans des rêves (des voitures flottent entre les nuages ou foncent en plein océan au milieu de vagues gigantesques, etc.).Nous souscrivons donc spontanément à cette idée que séduire, c’est faire rêver – d’autant que la vérité empirique en est pour ainsi dire constante, car si on réussit à faire rêver, alors on réussit à séduire. Ce n’est d’ailleurs pas moins vrai en première personne : cette inconnue dont on a croisé le regard dans la rue, on a l’impression que c’est en rêve qu’on l’a vue.
L’acheteur qui s’assujettit au discours publicitaire, autrement dit qui consent à être séduit par lui, n’est pourtant pas endormi : il sait l’absurdité souvent extrême de son comportement et surtout du sentiment qu’il a de lui-même (se sentir un conquérant ou une fée quand on est un employé de bureau ou une ménagère, il faut avoir perdu tout bon sens !). Mais ce savoir, précisément, ne compte pas, exactement comme ne compte pas, quand on rêve, le savoir qu’on a d’être en train de rêver.
Loin que l’état de veille ou l’état de rêve soient subjectivement indiscernables, en effet, ils sont parfaitement identifiés dans leur propre immanence : le lecteur ne peut pas croire qu’il rêve qu’il lit en ce moment un texte sur la séduction, preuve qu’il doit forcément savoir qu’il rêve, quand c’est le cas ! Sauf bien sûr qu’il ne se le dit pas et surtout que rêver procède de la décision que le savoir de rêver, qui importe parfois grandement (il arrive qu’on rêve d’être enfermé dans un rêve), ne comptera pas, puisque rêver repose en première approximation sur le consentement à être séduit par la modalité onirique de la conscience (pour dire les choses du point de vue du sujet). S’endormir, se laisser aller aux associations, aux images, aux sollicitations hypnagogiques (motif du papier peint, phosphènes, etc.), n’est-ce pas consentir à une vie qui, loin des nécessités de la veille où il faut prendre position à chaque instant, soit au contraire faite de la jouissance de se laisser fasciner ? La fascination, c’est que l’objet compte absolument. Or, nous le demandons : n’est-ce pas une des définitions possibles de la « vraie » vie telle que, dans tous les domaines et à tous les niveaux, la séduction en est la position ?
Nous devons être plus précis et cerner l’objet du rêve qui n’est pas la chose qu’on visualise mais la représentation elle-même. Soyons plus clair. Rêver, c’est être séduit une nécessité très précise : qu’une représentation de mot (par exemple un S redoublé dont l’interprétation montrera qu’il valait pour « sujet-savoir ») soit aussi représentation de chose (un SS : cauchemar d’être enfermé dans un camp d’extermination). Séduction, donc, par la représentation en tant que telle et non plus comme structure des choses et du sujet mondains. Comment s’étonner que la séduction en général soit si évidemment analogue au rêve, dès lors que la décision de rêver, ou plus exactement de consentir à rêver, qui se prend toujours déjà quand on s’endort, que cette décision, donc, soit tout simplement la décision d’être séduit ?
Séduire, c’est faire rêver mais être séduit n’est pas rêver
Etre séduit, par contre, ce n’est pas rêver, puisque l’ordre d’impossibilité qui est si évidemment onirique (être un conquérant pour l’employé, être une fée pour la mère de famille), reste intérieurement un ordre de possibilité (on peut partir en vacances au volant de la nouvelle voiture, on peut faire briller jusqu’au dernier recoin de sa cuisine, etc.). Cela signifie qu’en toute séduction la question est bien d’avoir sauté le pas hors de la nécessité commune ainsi qu’on le fait quand on s’endort en consentant à se livrer à une vie purement représentative et pour ainsi dire autiste (penser, c’est faire être parce que l’être et la pensée sont alors le même). Mais cette extériorité au commun qui apparente la séduction au rêve est, dans son cas, décision pour un objet, pour quelque chose à quoi il soit positivement envisageable de s’assujettir. Dans le rêve, non : pas d’objet, puisqu’il n’y a rien que la représentation (précisément : on rêve).
Terminons sur ce point en remarquant que si séduire consiste bien à faire rêver parce que c’est détourner de la réalité dont le premier caractère est d’être commune, cela ne consiste aucunement à enfermer dans un rêve c’est-à-dire dans une représentation qui ne soit finalement représentation de rien. C’est même le contraire qui est vrai : l’autorité de l’objet définit la séduction puisqu’il est le vrai à quoi notre propre vérité sera de nous assujettir, alors que c’est son absolue inanité qui définit le rêve – à l’intelligence duquel on n’accède au contraire que quand l’objet qui nous fascinait a rejoint sont néant c’est-à-dire que quand il ne reste plus que les mots (on n’interprète pas le rêve, mais le récit du rêve).
Le rêve et la séduction : la même question
Il reste l’essentiel de l’analogie entre le rêve et la séduction, qui est la fonction subjective. Pas de difficulté à propos de l’hypnose qui est une démission momentanée de soi (on comprend donc, au-delà des arguments donnés par Freud, pourquoi la psychanalyse qui est une éthique devait s’en séparer). Par contre, il faut continuer à réfléchir à propos du rêve qui est au contraire un travail du sujet – et même, doit-on préciser pour montrer l’analogie avec la séduction, un travail du sujet en tant que sujet. Disant cela, nous rappelons cette évidence qui est indistinctement le principe de l’éthique et de la séduction, que le sujet est sa propre question, et que cette question est d’être sujet – dès lors vraiment.
Dans le rêve, le sujet se libère paradoxalement de la représentation en y reconnaissant son objet d’une manière formelle. Le rêve, en tant qu’il procède d’une séduction consentie, peut donc être considéré comme la « vraie » vie : on est vraiment sujet quand c’est de la représentation comme telle (et non pas comme renvoyant à des choses qui seraient plus ou moins immédiatement des biens) qu’on est enfin le sujet. Et c’est pourquoi nous aimons nous coucher chaque soir, plus ou moins consciemment séduits à l’idée que le vrai sujet n’est pas le sujet représenté (moi, celui que je me sais être) mais le sujet de la représentation. Cela signifie concrètement que tout rêve est une mise en scène de la question que le sujet est pour lui-même, et qui est celle de son extériorité à la représentation en même temps que celle de son implication en elle. Plus simplement : un rêve, ça s’interprète et interpréter un rêve, cela consiste uniquement à trouver comment, là où il est dans la contingence de sa vie concrète (par exemple après avoir rencontré une personne extrêmement savante), le sujet a traité sa propre question, qui est celle d’être sujet (est-il possible d’être sujet devant quelqu’un qui sait tout, qui décode tout, qui a réponse à tout ?). D’ailleurs interpréter, c’est toujours et seulement cela : trouver un sujet aux prises avec la question d’être sujet et en train de construire la réponse à cette question – ce qui est spécialement évident dans les domaines de l’art et, pour nous, de l’histoire de la philosophie. S’agissant du rêve, sa question est bien celle d’un désir, dès lors qu’on désigne ainsi non pas un rapport de concupiscence à quelque chose qui ferait envie, mais la nécessité pour un sujet d’être sujet dans les conditions qui lui sont faites sur le moment. C’est pourquoi il faut rêver sinon tout le temps du moins toutes les nuits et même plusieurs fois par nuit. On est forcément sujet, puisqu’on vit, mais la question des conditions de la vie est aussi celle des conditions qui permettent qu’on soit sujet de la vie, et qu’en ce sens on soit un autre que celui qu’on est. C’est cela, le « travail du rêve » : construire, uniquement avec des représentations (représentations de mots et représentations de choses), un ordre qui fasse apparaître une place en extériorité qui soit la place du sujet – de ce même sujet qu’on pointe en disant que le savoir n’égale pas la vérité parce que quand on sait tout ce qu’il y avait à savoir, il faut encore se décider.
Eh bien, le travail du rêve ainsi défini n’est guère différent du travail de la séduction dont tout le principe tient dans cette vérité qu’il ne suffit pas d’être un sujet parce que, de cela, il faut encore être sujet. L’essence de la séduction et l’essence du rêve ont en commun cet « encore » qui dit l’extériorité, et donc l’étrangeté, l’irreprésentabilité, bref l’impossibilité que le sujet est pour lui-même. Dans la séduction, c’est par un objet extérieur au savoir c’est-à-dire contingent et énigmatique, que le sujet peut seulement advenir – advenir là où il sera sans excuse c’est-à-dire là où il sera vraiment sujet. Car à un objet nécessaire et évident, il suffit de se conformer (ou plutôt se conformer au savoir dont il est la manifestation). De la même manière, une représentation transitive, c’est-à-dire dans laquelle c’est le représenté qui compte (il en décide, il est l’instance de son évaluation), est par là même une excuse, au sens littéral, pour le sujet : ce n’est pas lui qui compte mais les nécessités propres au représenté, qu’il sera forcé de suivre telles qu’elles lui apparaîtront – ce qui revient à dire que la question qu’il est pour lui-même est barrée. Aussi le rêve, incohérent en ce sens qu’il ne s’y agit pas des nécessités du représenté, doit-il s’entendre comme la libération de cette question que le sujet est pour lui-même : là où il n’y a que des représentations, alors ce qui compte c’est le sujet de la représentation, le sujet de la pure extériorité, celui qu’on pointe en disant que le savoir n’égale pas la vérité.
Conclusion
Il n’y a de séduction que comme institution d’une fiction, parce que séduire consiste à scénariser la vérité de l’autre – et qu’on est séduit par tout ce qui nous donne l’impression de scénariser notre vérité (empruntons à Baudelaire l’exemple d’un visage de femme qui serait inséparablement voluptueux et mélancolique). Bien sûr, toute la question est de définir ce terme. On sait déjà que la vérité n’est pas le savoir et qu’elle a par conséquent rapport avec la décision – puisque quand on sait, il faut encore (se) décider et que c’est ainsi qu’on comble l’inégalité du savoir à la vérité. Décider, c’est être sans excuse, puisqu’on ne peut justifier une décision ou, si l’on préfère, qu’on n’a pas à se justifier quand on a décidé. Là où le sujet est injustifiable est donc forcément sa vérité, puisque c’est là qu’il décide autrement dit prend la responsabilité d’être sujet. Et il est injustifiable là où il devient sujet, autrement dit là où il s’assujettit : dans un objet indistinctement contingent et énigmatique (rencontré et non pas expérimenté). Telle est la séduction, dont le principe est qu’on entende matériellement la vérité et donc qu’on la représente sous le nom de « vraie » vie. Qu’on laisse de côté cette nécessité que la vérité soit matérielle, et c’est alors du rêve qu’on parle. On en est absolument responsable : mon rêve, c’est vraiment ma pensée parce que c’est ma pensée sans moi c’est-à-dire sans l’univers d’excuses que ce terme désigne. Une même nécessité, donc : celle de se décider à être enfin sujet, à arrêter de se perdre dans les justifications, autrement dit à arrêter de ne pas exister. Comme autorité, c’est la séduction. Comme existence, c’est le rêve.