Qu’est-ce exactement que l’âme ? (1)

Conférence du 14 juin 2024, réécrite et développée.

Le texte qui suit est la première partie du développement et de la réécriture d’une conférence prononcée le 14 juin 2024 sous l’égide de l’association Eurocultures, que je remercie de son invitation. L’extrême qualité de l’auditoire et la pertinence des questions et commentaires qui m’ont été adressés m’a incité à suspendre provisoirement la mise en forme de l’exposé sur le mal que j’avais présenté l’avant-veille à Narbonne, toujours sous la généreuse présidence de Monsieur le Professeur Michel Tozzi. Il va de soi que ce travail doit être accompli, d’autant qu’expliquer en détails pourquoi le mal, outre d’être « le réel de la vérité », doit s’entendre comme « l’autorité de la mort », constituera une bonne introduction à la théorie générale de l’autorité développée à partir de la rentrée d’Octobre, en plus de ce qu’on trouvera ici même. Mais je voudrais aussi terminer la rédaction de l’exposé sur l’âme. Bref, l’ensemble devrait être disponible avant cette échéance, mais l’écriture comme la vie recèle souvent des difficultés imprévisibles. J’ai remercié individuellement les personnes qui m’ont fait l’amitié de s’inquiéter de mon silence. Si d’autres lecteurs ou lectrices ont partagé ce sentiment, je les remercie aussi. 

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Pour beaucoup d’entre nous la notion de l’âme est parlante : elle leur « dit » quelque chose de la réalité du monde et d’eux-mêmes. A d’autres au contraire, elle ne dit rien ; ou plutôt elle les pousse à la condescendance, sinon au ricanement : ils ne voient dans cette interrogation qu’un reliquat de pensée religieuse et donc de supposition du « sens ». Car c’est cela, penser religieusement : chercher et donc supposer du sens. Comme le businessman du Petit Prince qui n’a pas de temps à perdre en considérations oiseuses, ils écartent la question de l’âme, à ceci près qu’à la différence de cet homme sans réflexion ils savent pourquoi : la vérité, dont seule la mise en cause comme telle fait qu’une question est philosophique, est exclusive du sens. N’importe quel exemple suffit d’ailleurs à le montrer : que la neige soit blanche et non pas verte et que les lois de l’optique l’expliquent très bien, cela n’a pas de sens, tout comme n’a pas de sens que la somme des angles du triangle plan soit égale à deux droits et non pas à cinquante, et que cela se démontre parfaitement. 

D’un point de vue heuristique, la cause est donc décidée avant d’avoir été exposée : s’il doit s’avérer possible de philosopher à propos de l’âme, c’est forcément qu’en elle il s’agit de la vérité comme telle (non pas de ce qui est vrai ou de ce qui est faux, mais bien de la vérité comme vérité) ; et c’est forcément aussi qu’en elle l’idée d’un sens ultime, d’un « sens du sens » en somme, doit révéler son inanité. 

On peut sans trop de difficulté envisager la première exigence parce qu’il est habituel d’associer l’idée d’avoir une âme à l’idée passablement confuse d’être « vrai » : une maison « qui a une âme », c’est une vraie maison, par opposition à une autre éventuellement plus solide, plus belle et plus commode mais qui n’aurait pas d’âme. Par contre la seconde semble rédhibitoire puisque la question de l’âme est aussi bien, dans quelques situations extrêmes de la vie,celle de sa perte ou de son rachat. Être prêt à tout et à n’importe quoi pour obtenir ce qu’on désire, c’est en effet avoir perdu son âme – et peut-être un jour celui qui l’a perdue saisira-t-il une occasion qui lui serait donnée de la sauver. On voit la difficulté : comment ne pas rapporter ces éventualités aux idées religieuses de damnation et de salut, et donc de sens ultime ? Cette dernière notion constituant une contradiction dans les termes (soit ce sens ultime n’a pas de sens et c’est en fin de compte la stupidité d’un dernier « c’est ainsi », soit il en a un et il n’est pas ultime), l’idée de l’âme serait emportée avec elle. On peut bien sûr accepter d’avoir en soi des reliquats de mentalité religieuse et envisager de les clarifier, mais il ne faut pas parler de philosopher puisqu’on sait d’avance qu’on butera sur une certaine incapacité de se défaire d’un archaïsme pourtant identifié comme contradictoire.

A moins… qu’il n’y ait pas de différence entre l’âme et la reconnaissance de l’âme, c’est-à-dire qu’il n’y ait d’âme que pour autant qu’on reconnaît qu’il y a de l’âme, et qu’à l’extrême de la vie on n’ait à perde ou à sauver son âme que pour autant qu’on en ait le souci… Dès lors la question de l’âme ne serait pas du tout la question métaphysique de quelque chose qu’on appellerait l’âme mais, au contraire pourrait-on presque dire, la question éthique du caractère responsable ou irresponsable des distinctions qu’on fait en l’invoquant – et aussi de ce qu’il arrive parfois, à l’extrême de la vie, qu’on fasse de soi-même.

Une distinction 

Dans certaines choses nous reconnaissons une âme, comme les outils d’un vieil artisan où un jouet retrouvé de notre enfance, tandis qu’à nos yeux d’autres n’en ont pas, comme un quelconque utilitaire ou le dernier gadget à la mode. A une âme une vieille chapelle par opposition à un centre commercial agréablement fonctionnel ; un village aux ruelles malcommodes par opposition à une « ville nouvelle » lumineuses et bien dessinée – mais aussi un objet banal qu’on a conservé d’un parent qu’on aimait, par opposition à tous ceux qui, exactement identiques, sont disponibles pour tout le monde dans n’importe quel supermarché. Nul non plus ne dirait qu’une offrande est sans âme, ni une œuvre dont la présence énigmatique et obscure continue de susciter en chacun de la parole et du silence, ni une maison familiale vaste, ancienne et un peu délabrée. 

Cela vaut également pour les personnes. Il y a en effet des gens sans âme ou dont l’âme est comme morte : non seulement les profiteurs satisfaits d’eux-mêmes et les malfaisants de toutes obédiences mais les indifférents à la souffrance, que ce soit celle des hommes ou celle des bêtes. A l’inverse on ne pourra jamais dire sans âme une personne que les épreuves de la vie ont rendue compréhensive et indulgente aux faiblesses humaines.

Les activités aussi relèvent de ce jugement : est par exemple sans âme le fonctionnaire pointilleux qui refuse l’aide sociale à une famille en détresse parce qu’il manque à son dossier le cachet d’une obscure administration, ou l’homme d’affaire qui fait fortune en exploitant la faillite d’entreprises dont il jette le personnel à la rue. Il y a ainsi des professions qui ne sont praticables que par des gens sans âme, comme ils le disent eux-mêmes fièrement (« pour faire ce métier, il ne faut pas avoir d’états d’âme ! »). Il est vrai que d’autres la mettent en péril d’une manière pour ainsi dire structurelle : « On reconnaît facilement qui achète et vend de son métier : il a l’œil éveillé et le visage tendu, il craint la tromperie ou la médite, et il est sur ses gardes comme un chat à la brune. C’est un métier qui tend à détruire l’âme immortelle. »[1]

A l’inverse nul ne songerait à dire sans âme les métiers de l’éducation, l’activité des artisans ou des artistes et tout ce qui consiste d’une manière ou d’une autre à prendre soin des choses et des êtres. 

L’enjeu ultime de nos existences

Ces distinctions ne sont pas arbitraires, non parce que des raisons admissibles par tout le monde en imposeraient la nécessité, mais parce que nous ne pouvons pas ne pas les faire  : comme on le reconnaît jusque dans l’exemple paradoxal des barres d’habitation construites à l’économie et dont le dynamitage a fait pleurer leurs anciens occupants (elles avaient donc une âme…), nous n’avons pas la possibilité subjective d’affirmer qu’un appartement moderne et fonctionnel livré clé en main a une âme, ou que des villes comme Paris ou Rouen n’en ont pas. Rien ne l’empêche pourtant, que nous-mêmes : le sentiment du caractère irresponsable de la position que nous prendrions en le faisant est irrépressible. De ce point de vue, l’âme n’est pas ce qu’on peut affirmer positivement mais ce qu’il serait aussi irresponsable de nier dans certains cas (une maison de famille, une ville qui a traversé le temps, une œuvre d’art, etc.) que d’affirmer dans d’autres cas (le bilan comptable d’une société, l’appartement moderne et fonctionnel qui vient d’être livré, etc.). 

Si nous présentons dans un premier temps la question de l’âme comme celle de la distinction que nous ne pouvons pas ne pas faire à propos des choses, des lieux, des activités et même des êtres, le fait même qu’il s’agisse là d’une distinction qu’on a toujours-déjà faite (car enfin on ne décide pas mais on trouve que certaines réalités ont une âme et que d’autres n’en ont pas) témoigne de ce qu’en elle il s’agit d’une responsabilité qui était la nôtre non pas consciemment mais originellement

D’où la nécessité de reconnaître que si la reconnaissance de l’âme est en nous antérieure à toute réflexion qu’on pourrait en produire, sa question nous est en quelque sorte originelle. Comment la question de l’âme peut-elle être originelle en nous ? 

Comme enjeu ultime de notre existence. 

Indépendamment de toute croyance métaphysique ou religieuse, chacun sait en effet qu’on peut perdre son âmeen commettant un acte ôtant tout sens à l’idée de pardon, qu’on peut la vendre en échange du bien qu’on a reconnu comme étant le seul qui compte vraiment pour nous, celui qui a depuis toujours décidé de nous et de ce qui sera plus ou moins valable à nos yeux. La richesse pour le financier, le pouvoir pour le politicien, la célébrité pour l’homme de spectacle, la beauté pour le mannequin, peut-être aussi le savoir pour l’homme d’étude (Faust), sont des exemples de ces biens en quoi il va de la condition même d’être sujet pour ceux qui y ont reconnu le décisif de leur existence. On conçoit que pour les conserver, ils soient prêts à tout et à n’importe quoi (à toutes les bassesses, à toutes les trahisons…) 

La raison en est toujours la même : la question d’être sujet est en réalité la question de ce qui donne détermination à l’ultime raison de vivre, jusque dans le plus concret des dernières limitesAinsi l’homme de spectacle n’hésitera-t-il pas à s’arracher à son lit d’agonie et à user ses dernières forces pour paraître sur scène une fois encore, ou le politicien à nouer les alliances les plus déshonorantes pour garder le pouvoir – et ainsi de suite pour tous les exemples qu’on voudra imaginer.

On aurait tort de croire cette éventualité ne concerner que quelques passionnés. 

Les hasards de la vie peuvent mettre n’importe qui dans une situation extrême, à nommer ainsi celles qui, les possibles étant épuisés, font que s’ouvre pour quelqu’un l’abîme de décider s’il va accepter ou refuser de payer un prix que l’infinité de son équivalent aura rendu incommensurable. Tel malade, dont l’immédiate survie est conditionnée par l’obtention d’un greffon biologique impossible à trouver légalement, peut ainsi accepter qu’un intermédiaire douteux lui en procure un contre une forte somme et la promesse de ne poser aucune question. Et c’est encore un prix (par exemple la vie d’un autre enfant) que des parents désespérés peuvent accepter de payer pour que leur enfant ne soit pas massacré par les terroristes qui l’ont enlevé. Un événement ponctuel peut produire la nécessité d’un bien, dont l’âme soit le prix : un secours pécuniaire, même modeste, peut sauver du suicide le joueur qui vient de perdre jusqu’à l’argent de son billet de retour, et l’on conçoit qu’il soit prêt à tout pour l’obtenir.

Ainsi on peut imaginer que des événements fassent brusquement apparaître des options originelles, à la surprise d’un sujet qui n’aurait jamais imaginé être tel qu’il se découvre, et dont l’âme soit le prix qu’il n’aurait jamais imaginé pouvoir accepter de payer.

C’est que nos choix de chaque instant constituent des évaluations qui renvoient forcément à des valeurs de dernière instance : des valeurs impensées comme telles et donc ignorées, en tout cas méconnues, qui conditionnent de manière inconditionnelle toutes les autres à être valables ou au contraire ineptes. Parce que nos choix particuliers s’autorisent forcément d’options ultimes qui sont des assomptions de responsabilité à propos de soi-même, des autres et du monde et parce que certains objets, qui sont non pas des choses mais des idées (l’argent, le pouvoir, la santé, la célébrité, etc.), réalisent et déterminent ces décisions, notre âme ne laisse pas d’être exposée à être perdue ou à être vendue. Il serait en effet contradictoire de limiter le terme qui relève de nous quand celui qui n’en relève pas est illimité.

Ainsi chacun est-il en danger de perdre ou de vendre son âme, à la fois pour des raisons de contingence (des circonstances fortuites peuvent instituer quelque chose en inconditionnel dont l’âme soit le prix) et pour des raisons de nécessité (les conditions axiologiques déterminant sa vie relèvent forcément d’un inconditionnel dont l’âme est alors le prix). 

Si l’âme est l’enjeu ultime de nos existences, c’en est aussi l’enjeu secret. 

Il l’est d’abord à cause de sa condition d’être ultime et donc de l’impossibilité qu’il soit reconnu ailleurs que dans des situations extrêmes, heureusement exceptionnelles et rares. Mais il l’est surtout à cause d’une contradiction que nous avons littéralement pour existence et qu’il est facile d’indiquer : 

– D’une part nous sommes à nous-mêmes non pas notre propre réalité mais notre propre question, qui estirréductible comme telle puisque nous ne sommes pas ceux que nous sommes, comme il serait si lénifiant de le croire, mais au contraire ceux à qui il est donné d’être ceux qu’ils sont : il nous est impossible de ne pas assumer d’être ceux que nous n’avons pas choisi d’être, sans savoir comment le faire. Et certes on ne le sait pas : l’éventuelle réponse à cette question (notre « caractère » comme attitude générale envers la vie) appartient encore à ce que nous avons la responsabilité d’assumer : hystérique ou obsessionnel, par exemple, c’est ce qu’on a identiquement pour responsabilité d’être quand on l’est. 

Car une chose est ce qu’on est dont il serait absurde de nier que cela relève de notre constitution par la nature et la société telles qu’elles se particularisent dans la situation singulière qui est la nôtre ; mais une autre, absolument irréductible comme responsabilité, est qu’on le soit. Et de cela, aucun savoir n’est concevable. Il serait en effet absurde de considérer comme éidétiquement déterminé la nécessité d’assumer d’être ce que l’on se trouve être, puisque cela reviendrait par exemple à dire qu’être médecin est quelque chose de médical, ou qu’être géomètre est quelque chose de géométrique. 

– D’autre part la nécessité que la vie est pour soi fait de chaque bien particulier une réponse suffisante à une question dont on ne peut pas dire qu’elle n’est pas la nôtre, au sens où nous avons pour existence le manque de sa réponse : que par exemple je sois malade, et j’ai la guérison comme question ; que je sois pauvre et j’ai pour question de me procurer de quoi vivre ; que je sois vaniteux et j’ai pour question de me faire décerner toujours plus d’honneurs – et ainsi de suite pour tous les biens de toutes natures qu’on voudra considérer, des plus triviaux au plus sublimes. 

Disons la même chose autrement : la vie consiste à réduire totalement au service des biens la question d’être sujet, c’est-à-dire à frapper d’impossibilité l’irréductible question d’être soi que chacun reste quand même pour soi puisque vivre n’est pas notre nature mais notre responsabilité : nous ne sommes des vivants qu’à ne pas être ces vivants, puisque, jusqu’à présent, nous ne vivons qu’à décider de vivre encore (c’est-à-dire en réalité qu’à refuser de ne plus vivre). Contrairement aux autres vivants, l’être que le langage a mis en dehors de sa propre réalité (de cette réalité « je » parle et je « la » désigne comme mienne) ne vit jamais qu’autant qu’il accepte de vivre. Pour les vivants non-parlants, vivre, c’est tout simplement avoir à vivre encore c’est-à-dire vivre à n’importe quel prix. Pour nous aussi, dans certaines circonstances extrêmes (qui sait ce qu’il n’acceptera pas, le moment venu[2] ?). Mais alors l’âme est perdue. 

Le philosophe conclut ainsi que la vie est le refoulement de l’existence, signifiant par ce dernier terme non pas qu’on vive, comme les non-parlants dont l’existence et la vie ne font qu’un et pour qui vivre est une affaire réelle, mais que vivre est notre affaire irréductiblement personnelle. Or le service des biens, à tous les niveaux où il s’impose, consiste précisément à réduire l’affaire personnelle de vivre à une affaire réelle (affaire de nourriture quand vient l’heure du repas, affaire de situation sociale quand on embrasse une profession, affaire de « bonne figure » quand on est confronté au jugement des autres, mais aussi de connaissances médicales quand survient l’accident ou la maladie, etc.).

C’est à l’extrême des situations, là où plus aucune raison ne vaut et où plus rien n’est dès lors possible (quand le joueur a perdu jusqu’à sa petite monnaie ; quand le médecin constate qu’il n’y a plus rien à faire ; quand le terme est échu et qu’on ne peut pas rembourser le prêt usuraire qu’on a été forcé de contracter auprès de la Mafia…), que le service des biens cesse de refouler la question qu’on était pour soi depuis toujours. 

L’ âme n’est même pas l’âme qui n’était déjà pas l’âme

Or ce ne sont pas seulement les raisons indéniables de l’organisation ou de l’intérêt qui mettent l’âme en danger, parce que le service du bien n’est pas réductible à celui de l’utilité. Quand on en rapporte la notion à celle de l’enjeu « ultime » de nos existences, on arrive à l’idée de raisons extrêmes c’est-à-dire inconditionnellement valables. Tout le monde les connaît : ce sont la nécessité morale, la vie et l’amour, qui peuvent chacune donner lieu au même paradoxe et dès lors se réaliser comme absence ou mort de l’âme. 

C’est évident pour la vertu, quand elle est intransigeante ainsi que sa notion l’exige : « – On ne doit jamais mentir ! – Oui, mais si c’est pour sauver quelqu’un ? – On ne doit jamais mentir ! ». 

C’est compréhensible pour la vie : ne faut-il pas d’abord vivre, et vivre avec soi-même[3] ?

Mais c’est l’amour qui fait véritablement saisir la notion, parce qu’il en porte le paradoxe à son comble en faisant que la question se retourne en quelque sorte elle-même et que nous découvrions, à notre étonnement pour ne pas dire à notre stupeur, que l’abandon de l’âme pourrait bien être… encore l’âme. Car enfin nous le demandons : est-ce qu’on aime, si l’on n’est pas prêt à tout et à n’importe quoi pour celui ou celle qu’on aime ? 

On l’éprouve déjà quand on comprend chrétiennement l’âme comme la destination de chacun à être « sauvé » du « péché », lequel peut être conçu comme le nouage de la finitude et du mal. Voici en effet ce que dit la Jeanne d’Arc de Péguy, dans la première pièce, intitulée A Domrémy, du drame de 1897 : « Oh s’il faut, pour sauver de la flamme éternelle le corps des morts damnés s’affolant de souffrance, abandonner mon corps à la flamme éternelle, Mon Dieu donnez mon corps à la flamme éternelle. Et s’il faut, pour sauver de l’absence éternelle les âmes des damnés s’affolant de l’absence, abandonner mon âme à l’absence éternelle, que mon âme s’en aille à l’absence éternelle ». Tel dialogue de Bernanos en témoigne encore : « Dieu m’a inspiré cette pensée qu’il me marquait ainsi ma vocation, que je devrais poursuivre Satan dans les âmes, et que j’y compromettrais infailliblement mon repos, mon honneur sacerdotal, et mon salut même. – N’en croyez rien, répliqua vivement le curé de Campagne. On ne compromet son salut qu’en s’agitant hors de sa voie. Là où Dieu nous suit, la paix peut nous être ôtée, non la grâce. – Votre illusion est grande, répondit l’abbé Donissan avec calme, sans paraître s’apercevoir combien de telles paroles étaient éloignées de son ton habituel de déférence et d’humilité. »[4]

Mais c’est l’amour humain qui porte la notion à son comble donc à sa vérité, puisqu’il fait reconnaître qu’avoir livré son âme par amour ne consiste pas à être voué à quelque damnation surnaturelle à laquelle il faudrait croire mais « seulement » à être prêt à tout et à n’importe quoi pour celui ou celle qu’on aime – cette mort de l’âme généreusement acceptée pouvant bien être l’âme elle-même. 

Cela ne se donne pas à comprendre comme l’idée qu’un philosophe aurait entrepris de construire mais à entendre. Non pas dans un discours mais dans une voix. Elle est impossible à oublier, puisque c’est celle de Piaf dans son Hymne à l’amour : « J´irais jusqu´au bout du monde, je me ferais teindre en blonde, si tu me le demandais (…) Je renierais mes amis, je renierais ma patrie, si tu me le demandais. On peut bien rire de moi, je ferais n’importe quoi, si tu me le demandais. » Voici mon âme, tu peux la prendre.

On peut concevoir que cette vérité doive être reconnue là même où il nous répugne le plus de le faire. Je pense à certains militaires ou à certains policiers qui, eux, étaient honnêtes et droits, et qui se sont retrouvés détenir des poseurs de bombes ayant préparé de véritables massacres (ainsi pendant la guerre d’Algérie : il y en avait dans les cinémas et dans les cafés qui devaient exploser au moment de la plus grande fréquentation). Pour éviter cela, il fallait faire parler ceux qui détenaient les informations. Or c’est quelque chose qu’on ne peut faire sans le payer de son âme. En le sachant, ils ont fait ce qu’il fallait pour sauver des vies. Il y a une expression pour dire cela : ils l’ont fait « la mort dans l’âme ». Désormais leur âme est morte et, comme le « zar » auquel croient certaines peuplades somaliennes (un cadavre que la personne sent être attaché sur son dos et qui entrave tous ses mouvements et toutes ses relations), ils en portent avec et sur eux la lourde dépouille. Est-ce que ces hommes ne se sont pas tournés vers leurs semblables qu’ils avaient pour métier de protéger en disant quelque chose comme « voici mon âme, vous pouvez la prendre » ?  Et le deuil inextinguible de leur âme ressenti comme sa masse impossible à déposer, est-ce que ce n’est pas leur âme ?

Ni quelque chose, ni (donc) un bien

On ne peut en rester à l’affirmation de l’âme comme ce qu’il serait pour les uns éthiquement impossible de ne pas reconnaître (« Je ne vendrai jamais ce que mon grand-père m’a légué sur son lit de mort »), ou au contraire pour les autres de reconnaître (« Tout cela, ce ne sont que des rêveries de poètes et heureusement, moi, je vis dans le concret »). D’où la nécessité d’examiner l’hypothèse d’une réalité de l’âme. 

Quand on les considère dans leur expression religieuse, l’opinion de la plupart des peuples est que l’âme est une réalité existante[6], et il est habituel de réfléchir cette position par l’alternative de croire ou de ne pas croire que l’âme existe : on assène la certitude que oui quand on est « spiritualiste » ou la certitude que non quand on est « matérialiste ». Le philosophe, lui, s’en tient, aux notions. Ici, elle est claire : la notion de l’âme est en même temps celle de la distinction de certaines réalités à l’encontre de toutes les autres dont elles ne diffèrent pourtant pas, et celle de l’enjeu ultime de nos existences. Or le paradoxe est que chacune de ces présentations est une exclusion de l’existence…

Qu’on en juge : s’il y a l’âme, cela constitue un fait, comme constitue un fait qu’il ait plu hier et qu’il fasse beau aujourd’hui, ou qu’il y ait en ce moment une gomme sur ma table travail. S’il y a l’âme, alors son identification est un moment de l’universelle et stupide évidence de tout et de n’importe quoi ou, disent les métaphysiciens, du fait qu’il y a en général quelque chose et non pas rien, par définition ultime et sans raison (s’il y avait une raison, elle en relèverait encore ; et si c’était nécessaire, cette nécessité serait contingente). Ainsi la notion de l’âme est avant tout celle de l’exclusivité à l’être

Si vraiment on voulait tenir un discours positif à son propos, il faudrait employer un terme qui soit son propre dédit comme « non-étant » ou « inexistence ». Mais on ne saurait trop déconseiller cette manière de faire parce qu’en parlant ainsi on signifierait inévitablement que l’âme a une façon spéciale d’exister (elle aurait la négativité pour être) alors que c’est justement d’exclure pareille éventualité que l’argument s’impose. 

Mais l’âme n’est pas seulement exclusive à l’ontologie, c’est-à-dire à tout ce qui s’inscrit d’une manière ou d’une autre dans l’a priori de l’être, elle l’est encore – et corrélativement – à l’axiologie, c’est-à-dire au discours sur les valeurs et au repérage des biens. 

L’argument est simple, qui consiste à rappeler que si l’âme était d’une manière ou d’une autre une réalité, elle serait forcément le premier des biens : celui auquel il serait pertinent (intelligent, habile, avisé, sage…) de sacrifier tous les autres, à la manière de marins jetant la cargaison par-dessus bord pour alléger leur navire quand il est sur le point de couler. Or l’âme ne saurait être le premier (ou le dernier) des biens puisque c’est précisément pour l’acquisition ou la conservation du premier (ou du dernier) des biens qu’on est amené à « perdre » ou à « vendre » son âme

On pense communément l’âme à travers l’opposition des biens « mondains » qui ne seraient pas de « vrais » biens et auxquels il serait donc irresponsable de se vouer, et du « vrai » bien qu’elle serait, et pour la préservation de quoi aucun sacrifice ne pourrait par définition être trop grand. Ainsi Sainte Perpétue ne reniera pas sa religion, même pour ses vieux parents, son mari, son enfant. Quand on les lui amène pour faire pression sur elle afin qu’elle renie son baptême, elle les rejette et les repousse : « Éloignez-vous de moi, ennemis de Dieu, car je ne vous connais pas »[7]. Eh bien moi, je ne sais pas si Perpétue a gagné le paradis, mais je sais qu’elle a perdu son âme. 

La mention laïque cette position est l’indication de garder son âme « pure », ou de ne pas se « salir les mains », expressément révélatrice de toute absence d’âme.

Cela étant, l’idée d’un enjeu ultime de nos existences reste forcément représentée de manière axiologique et normative. Or il ne s’agit là que d’une représentation, donc en l’occurrence d’une falsification, de ce qui est au contraire irreprésentable : dans l’ordre des réalités, un village ancien aux ruelles malcommodes n’est pas quelque chose de meilleur qu’une ville nouvelle aux avenues lumineuses et impeccablement tracées, tout au contraire ; dans l’ordre des personnes, on ne vit pas moins bien en étant un profiteur satisfait de soi qu’en étant attentif à la souffrance des hommes et des bêtes, tout au contraire

La représentation positivement axiologique de l’âme est pourtant tenace, et c’est ce qu’on réfléchit avec la notion du « supplément d’âme ». 

L’idée est simple : s’il est mieux d’avoir une âme que de n’en avoir pas, alors qu’à cela ne tienne : on en apportera une. Les exemples ne manquent pas.

Le promoteur d’un lotissement de maisons joliment décorées pourra faire transporter sur la place centrale (interdite aux voitures et dont les brochures indiquent qu’elle s’appelle « forum » ou « agora ») les ruines d’un vieux moulin ; le responsable d’une galerie commerciale pourra y faire exposer des tableaux et des sculptures ; le gestionnaire d’un aéroport y fera aménager « un espace de recueillement », et ainsi de suite. On vient de donner des exemples de lieux, mais le principe vaut aussi pour les choses : des objets produits automatiquement en millions d’exemplaires pourront être « personnalisés » et livrés au consommateur comme uniques et irremplaçables. Ajoutons que le principe vaut aussi pour des existences humaines, comme dans l’exemple d’une famille de cadres parisiens joyeuse d’investir son temps et son argent dans la restauration d’une ferme du Luberon : sa vie, exclusivement constituée jusque-là de conformité aux idéaux publicitaires et de paraître social, a maintenant une âme ! 

Le lecteur voit l’argument : l’affirmation de l’âme est le déni de sa notion. Autrement dit : s’approprier l’âme, comme on le fait en la considérant comme un élément d’un cahier des charges commercial ou personnel, revient à avérer qu’on est une personne sans âme. 

L’usage est d’ailleurs sans équivoque : pour signifier qu’on parle d’une personne sans âme, il suffit de lui attribuer une certaine âme. Sur le modèle économique d’un bilan comptable qui a seulement à être exact et en quoi il serait incongru de faire intervenir le moindre affect, on dira par exemple de tel évaluateur des réalités historiques qu’il a « une âme de comptable »[8] ; sur le modèle socio-politique de la nécessité d’être renseigné sur tout le monde, on dira de tel voisin toujours derrière ses rideaux qu’il a une âme « de flic », ou encore de tel parent qu’il a une âme « de fonctionnaire » parce qu’il est obsédée par les normes et les règles et par la nécessité d’être renseigné sur tout le monde. Et ainsi de suite. S’attache-t-on à déterminer le fait d’être sans égard pour rien ni personne en fonction de quelque chose que c’est une certaine âme qu’on mentionne pour marquer qu’il n’y a pas d’âme. 

Comme tout à l’heure l’existence (si l’âme existe, alors ce n’est pas l’âme), la détermination est donc exclusive de la notion de l’âme (si l’âme est une certaine âme, alors ce n’est pas l’âme). 

Juste une idée

L’âme n’est donc rien, ni au sens « dynamique » d’un élément de la réalité que des causes auraient produites, ni au sens « mathématique » de quelque chose dont on aurait une compréhension déterminée. Cependant il est impossible de faire équivaloir la proposition « l’âme n’est rien » avec la proposition « il n’y a pas d’âme ». 

C’est que l’« âme » est une idée, et non pas un concept. 

Le concept renvoie à ce que l’on constate d’une manière ou d’une autre et dont on est innocent (ce n’est pas ma faute si cet objet est une gomme et si c’est un arbre que j’aperçois de ma fenêtre) tandis que l’idée renvoie à ce que l’on reconnaît, c’est-à-dire à la prise de responsabilité d’une affirmation qui ne soit rien d’autre que cette prise de responsabilité. Que par exemple la beauté soit une idée, cela signifie qu’il serait absurde de chercher dans les choses que nous jugeons belles quelque trait qui y corresponde et dont nous serions innocents (on peut trouver des symétries ou des contrastes mais l’admission de leur nécessité sera arbitraire et de toute façon récusée par mille contre-exemples). Corrélativement cela signifie qu’en affirmant par exemple que la Corse est belle, je m’engage moi-même comme le garant de ma propre parole alors que d’habitude c’est le savoir qui garantit ce que je dis, positivement ou négativement. La conséquence pratique est évidente : qu’un interlocuteur me dise que la Corse est laide, et je ne pourrai pas lui prouver qu’il est dans l’erreur ; mais je saurai que j’ai affaire à un irresponsable et que je serais aussi irresponsable que lui si, en butte aux difficultés de la vie, je me tournais un jour vers lui pour être conseillé. 

Autant de manques de savoir (par exemple celui de la norme de l’apparaître) autant d’idées (par exemple la beauté) quand, le savoir ne faisant pas autorité, il faut en ce point précis assumer et non plus supposer qu’on soit sujet, comme on l’est habituellement en exerçant sa compétence. 

A la question traditionnelle « qu’est-ce qu’une idée ?», voici donc la réponse qu’il faut apporter : une idée est la réponse à un manque de savoir, en tant que cette réponse est une prise de responsabilité d’un sujet non pas quant à être sujet de ceci ou de cela (la responsabilité comme compétence, qui renvoie aux concepts) mais bien quant à être sujet. Ainsi en est-il statutairement de l’âme.

L’étonnante « nature » de l’âme

Dans le jugement que Kant appelle « réfléchissant » et qui est celui des idées et donc de ce que l’on reconnaît, par opposition au jugement qu’il appelle « déterminant » et qui est celui des concepts et donc de ce que l’on constate, nous faisons une épreuve qui, comme toute épreuve (par opposition à expérience), est celle d’un « réel » : il est impossible que la liberté de penser ne s’éprouve pas comme la contrainte d’avoir déjà pensé. Juger que la Corse est belle, par exemple, cela consiste juste à prendre conscience qu’on a déjà jugé qu’elle était belle, qu’on n’y peut rien, et qu’on ne peut pas faire autrement qu’assumer ce jugement qu’on a déjà porté sans le savoir[9].

Dans un premier temps on peut dire que dans les idées, contrairement à ce qu’il en est des concepts qui réalisent une compétence à chaque fois particulière et donc notre assujettissement à un certain savoir, on bute sur le « réel » de notre responsabilité. Nous découvrons que ce qui paraît le plus « subjectif » (l’idée est une prise de responsabilité qui ne « correspond » à rien, contrairement au concept qui est la logique unifiante d’un objet), a paradoxalement la consistance d’un forçage. Voudrais-je par exemple juger que la Corse est laide ou, dans un tout autre domaine, que Platon est un philosophe négligeable, que cela m’est tout simplement impossible : je n’y peux rien, je bute sur ce qui n’est pourtant de ma part qu’un exercice de responsabilité. 

La reconnaissance de l’âme, exclusive de toute justification parce qu’elle relève d’une distinction qu’on fait (c’est une idée) et non pas d’une différence qu’on pourrait constater (ce n’est pas un concept) n’est donc en rien assimilable à un caprice : cette distinction n’est pas quelque chose qu’on aurait la possibilité de faire, mais tout au contraire quelque chose qu’on n’a pas la possibilité de ne pas faire. On le remarque d’emblée, et c’est à le faire qu’on a pu l’identifier comme l’enjeu ultime de notre existence, cette question de l’âme (et non le fait qu’il y aurait l’âme !) en étant en quelque sorte le « roc » presque toujours ignoré.

Dès lors l’énigme de ce que nous pensons quand nous la pensons peut être facilement formulée : qu’est-ce qui n’est rien d’autre que la reconnaissance qu’on en opère mais qui en est pourtant le forçage et dont l’épreuve soit pour nous celle de notre propre responsabilité (c’est-à-dire de mêmes quant à être sujet) et de rien d’autre ?

Une seule notion, peut-être la plus étonnantes de toutes, correspond à ce paradoxe : l’autorité.

Quand on veille à ne pas confondre l’autorité corrélative de la responsabilité, avec la pouvoir corrélatif de l’obéissance ou avec la puissance corrélative de la soumission, on découvre ceci : 

– Elle n’est absolument rien d’autre que la reconnaissance qu’on en opère : une autorité qu’on ne reconnaît pas n’en est pas une – tout au plus l’idée d’une autorité comme quand on pense à des souverains de l’Antiquité ou à des dignitaires de religions exotiques. 

– C’est un réel, parce que la reconnaissance qu’on en opère et en quoi consiste toute sa réalité, il est impossible de ne pas l’opérer. En ce sens, le réel de l’autorité et le réel de la responsabilité sont la même chose. Car les deux notions sont l’envers l’une de l’autre : dire par exemple que l’orthographe est une autorité revient à dire que la responsabilité de soi comme scripteur est d’écrire correctement. Tout le monde ne s’en soucie pas. C’est qu’une autorité qui ne s’impose pas, autrement dit qu’on serait libre de ne pas reconnaître, n’en est tout simplement pas une. Son propre n’est donc pas de solliciter ni même de légitimer sa reconnaissance mais tout au contraire de la forcer – parfois au grand dam de ceux qui sont concernés : bien des démocrates sincères ont cédé au « charisme » d’un dictateur contre qui ils conservaient pourtant toutes leurs raisons d’être prévenus. 

– Que l’autorité, qui ne consiste en rien (elle n’a de réalité que sa reconnaissance, contrairement au pouvoir et à la puissance), s’impose quoi qu’il en soit des raisons de la récuser ou de la légitimer, c’est ce qui permet d’en inverser la notion en l’identifiant à la chute du savoir. Non pas au sens où il serait anéanti mais, au contraire presque (car il n’est alors plus que savoir), au sens où il est frappé d’inanité : on a toujours les mêmes raisons de la récuser ou au contraire de la légitimer sauf que désormais ça ne compte plus. Que ça ne compte pas du tout et c’est l’autorité proprement dite. 

Nous sommes ainsi au point décisif de notre enquête : si l’autorité est la nature de l’âme, alors il est évident que le secret de sa notion, c’est-à-dire en réalité de la distinction de certaines choses et de l’ultime enjeu de nos existences, réside dans ce que nous venons d’en dire.  

C’est en effet le cas, comme nous verrons en détails dans la suite de cet exposé.


[1] Primo Levi, Le système périodique, Albin Michel 1988, p. 203

[2] De ce truisme – dans des circonstances qu’on n’a jamais connues, on ne peut savoir d’avance à quelles extrémités on pourra se laisser aller – il ne faut pas conclure que n’importe qui soit capable de n’importe quoi. C’est faux au sens où c’est un fait que les probabilités sont extrêmement inégales. Personne ne peut croire (on parle de croire et non pas de savoir) qu’un profiteur satisfait de lui-même pourrait dans des circonstances extrêmes se sacrifier pour les autres, ni qu’une personne qui s’est toujours bien conduite basculerait facilement dans l’abjection.

[3] Laurent Sagalovitsch raconte dans Vera Kaplan (Buchet-Chastel 2016, rééd. Poche 2023) l’histoire d’une jeune Juive qui, pour sauver ses parents puis simplement pour rester en vie, en est venue à dénoncer par centaines des Juifs cachés dans Berlin. Elle se disait qu’elle faisait œuvre de justice, car en les livrant à la Gestapo elle les punissait de leur attentisme et de leur passivité intolérables. L’auteur nous dit que ce récit est inspiré des agissements d’une personne ayant réellement existé et « chez qui la pulsion de vie s’est montrée plus forte que la conscience ».

[4]  Georges Bernanos Sous le soleil de Satan, Œuvres romanesques, Pléiade p. 224

[6] Qu’est-ce que l’âme, pour les religions qui en affirment la réalité ? Une chose en plus du corps, ayant par rapport à lui une indépendance relative, qui représente le sujet, et dont chez nous les théologiens se sont longtemps demandé si les femmes en étaient pourvues.

[7]Cité par Tsvetan Todorov, Face à l’extrême., Point Seuil, 1994, p. 55

[8] Mais quand j’entends parler

De bilan positif

Je ne peux m’empêcher de penser à quel prix

Et ces millions de morts

Qui forment le passif

C’est à eux qu’il faudrait demander leur avis

N’exigez pas de moi une âme de comptable

Pour chanter au présent ce siècle tragédie

Les acquis proposés comme dessous de table

Les cadavres passés en pertes et profits

                                       Jean Ferrat, Le bilan 

[9] Car penser, nous le savons depuis Platon, c’est reconnaître l’idée. La même vérité peut d’ailleurs s’exprimer tout autrement : nous, êtres de langage qui ne parlons qu’à être parlés, ne pensons jamais qu’en antériorité à nous-mêmes et donc sans le savoir…