Cours du 21 mars 03
Apprendre à vivre (8) : le trésor et le crime des crimes
Le vrai se définit de son inconsistance réflexive. Cela signifie très concrètement que du vrai, on peut toujours en chercher, on n’en trouvera pas. J’ajoute : précisément parce qu’on l’aura cherché. Chercher est en effet un position réflexive dont le corrélat est l’essentielle insignifiance de tout ce qu’on trouvera : à celui qui est n’importe qui ne peut advenir qu’un réel qui soit n’importe quoi – or le vrai s’entend précisément de ne pas être n’importe quoi. Une réalité objective, c’est toujours une réalité bête parce que ce qui compte en elle est toujours la même chose : son rapport à la réflexion (précisément : qu’elle soit objective) ; de sorte qu’il lui appartient d’effectuer la définition que donne Deleuze de la bêtise et que j’ai souvent citée : la confusion du singulier et de l’ordinaire. Si subtile qu’en puisse être la découverte, celle-ci est toujours déjà reprise par un Monsieur Homais : le sujet de la représentation, identique à la nécessité toujours déjà avérée d’être n’importe qui, puisqu’il y a une représentation de n’importe quoi. Pour le pharmacien de Yonville que nous sommes tous dans le moment de notre réflexion, rien ne saurait jamais être proprement sujet de la vérité : il y a seulement le réel d’une part et sa connaissance d’autre part, le premier étant à chaque fois indifférent puisqu’en lui le même sujet de la représentation est toujours seul à compter. A quoi s’oppose donc le vrai, qui n’est pas indifférent mais distingué, épuisant par là même son statut de sujet pour la vérité dans cette exclusivité : elle situera pour nous sa reconnaissance non pas dans le savoir mais dans le reste du savoir – non pas, comme je dis souvent, dans la réflexion mais dans la méditation. Le vrai, dont on nomme ” respect ” l’aperception spécifique, donne – et d’abord à méditer, de sorte que la question des ” leçons de vie ” est toujours celle du don à méditer. Mon propos d’aujourd’hui sera d’interroger ce don dans son incidence distinctive : pour chacun son trésor est composé d’éléments qui l’auront à chaque fois absenté, et par là rendu localement capable de vérité – ce que j’appelle donné à lui-même.
Le trésor : le don de la distinction.
Je rappelle qu’il faut opposer l’éthique à la morale, laquelle s’épuise à valoir pour le sujet de la réflexion quand l’éthique vaut au contraire pour le sujet en première personne, c’est-à-dire en impossibilité de soi. Cela revient exactement à dire que l’éthique et la morale s’opposent comme l’impossibilité s’oppose à la nécessité.
La morale est la nécessité de faire ce que n’importe qui aurait raison de faire pour la seule raison qu’il est n’importe qui. Cela signifie que les impératifs et les jugements sont constitués dans et par la réflexion. La notion réflexive est naturellement morale, puisque la morale n’est justement rien d’autre que l’effectuation de la réflexion, dont la fonction transcendantale (tout ce qui est, est pour moi, donc en vérité par moi) implique qu’elle soit toujours déjà subjectivée – raison pour laquelle, soit dit en passant, il est absurde de supposer l’existence d’un sujet transcendantal : il suffit de pointer que la réflexion est la fonction transcendantale.
L’éthique, au contraire, renvoie tout cela à vanité puisqu’elle s’entend du vrai dont la fonction transcendantale est épuisée d’être la dépossession. Là où est le vrai, la nécessité transcendantale ne compte pas. Car si, à la réflexion, rien de ce qui est n’est que pour, et par conséquent que par, moi, cela signifie que ce que j’appelais vrai ne l’était en réalité que par une constitution dont je n’avais simplement pas conscience d’être le sujet, moi qui l’étais toujours, et seulement en vérité : non pas dans l’existence ni dans la détermination de mes objets mais dans le sens de leur être, qui est l’objectité – la destinée de trouver sa vérité dans la forme représentative. Donc ou bien il y a du vrai , ou bien l’attitude réflexive (et par là morale) est légitime – mais il faut choisir. On appelle ” éthique ” le premier terme de l’alternative, et ” morale ” le second.
L’alternative originelle est celle du sujet : ou bien c’est le vrai, ou bien c’est moi – qui suis n’importe qui et qui me représente faire autorité précisément pour cette raison de principe que je suis n’importe qui (le sujet universel). Bref, la distinction d’un côté, le commun de l’autre.
S’il faut des références (superflues en philosophie, mais parfois utiles pour se faire entendre), c’est donc plutôt à Nietzsche que je me rapporterai en soulignant qu’en effet la morale, qui ne s’oppose à l’éthique qu’à en avoir été originellement une (que ce soit moi et surtout pas le vrai qui soit sujet pour la vérité), est par constitution morale du ressentiment et pensée d’esclave – à nommer ” esclave “, pour les raisons que j’ai indiquées quand nous avons travaillé sur cette notion, le sujet commun de l’expérience (par opposition au sujet distingué de l’épreuve). On peut dire ainsi que l’homme du commun est l’homme de la morale (et donc aussi, et presque toujours, l’homme immoral) alors qu’un tel jugement n’a aucun sens pour l’homme distingué – lui qui n’a jamais à être moral (ou immoral) que ” par ailleurs “, là où ça ne compte pas, là où il ne s’agit de lui qu’en réalité mais pas en vérité.
Eh bien le trésor de chacun, c’est le trésor de sa distinction. La désinvolture envers sa propre distinction, autrement dit la décision de faire comme si la première personne était identique à la troisième (à ceci près qu’elle serait subjectivement vécue), voilà ce qu’il faut considérer comme le crime des crimes.
Il s’agit pour nous de situer la notion de trésor en l’inscrivant dans la problématique de la capacité de vérité c’est-à-dire de la marque. Je dirai ainsi que le trésor est constitué de ce qui a marqué : en lui, ce qu’on trouve, c’est le marquant considéré dans son incidence c’est-à-dire dans son effet de vérité, qui est un effet de distinction – d’ ” impossibilisation “, au sens où on n’est capable de vérité que là où l’on est radicalement impossible à soi. La distinction de la première personne tient précisément à cela, puisqu’on appelle vrai cela qui a été posé en première personne.
Mais ne commettons pas de contresens sur l’idée de l’incidence du marquant, autrement dit su l’idée que le survivant seul (celui qui n’est pas revenu de l’épreuve et qui est par là même originellement impossible à soi) parle en première personne – bien que, par ailleurs et comme tout le monde, il soit évidemment celui qu’un autre aurait été à sa place.
Si je tente (avec la quasi-certitude de la méconnaissance et de l’échec) de me souvenir des choses et des êtres qui m’ont marqué, je vais forcément opérer une réflexion qui les instituera dans une nécessité rétrospective. Je dira ainsi qu’il a fallu qu’il m’arrive ceci ou cela pour que je sois celui que je suis, en l’occurrence celui qui s’interroge sur les péripéties de sa constitution pour ainsi dire spirituelle. Rien là que de très légitime, sauf que c’est justement à l’encontre de cette réflexion que la notion de trésor prend son sens. Car enfin cette réflexion n’est-elle pas expressément finalisée par une conclusion tautologique, à savoir que la récapitulation des épreuves que j’aurai traversées pour devenir moi établira par là même (comme effectivité de la réflexion) que si un autre les avaient traversées, eh bien il serait moi ! Absurdité je le sais, mais où s’indique expressément que je ne suis moi que par ma place. Si donc c’est moi qui parle, alors je le ferai de ma place, c’est-à-dire autorisé d’elle puisqu’on ne peut rien faire ou dire qu’à prétendre implicitement avoir raison de le faire ou de le dire, et qu’avoir raison consiste réellement à occuper une certaine place dans l’ordre du discours, celle de la conformité à ce qui l’a institué comme tel. Or s’autoriser de sa place (ou de son savoir, ce qui revient au même), c’est la définition exacte de la médiocrité !
Non que je ne sois médiocre (bien au contraire : je suis réellement celui qu’un autre aurait été à ma place), mais alors on se trouve dans le savoir, dans la conscience de l’ordre des choses, et la notion même de vérité perd toute signification propre : il n’y a pas de vrai, mais seulement un système de discours. Par contre si l’on admet a priori – telle est la décision philosophique qu’en effet rien d’extérieur ne vient légitimer, sinon justement son statut de décision pour la pensée – de sauvegarder cette notion, alors on reconnaîtra que le vrai, dans son rapport au sujet subjectif, est précisément ce que celui-ci se définit de ne pas pouvoir poser.
Ce qui revient plus concrètement à dire qu’il n’y a d’éthique que de l’impossibilité. Je n’ai vraiment raison que là où il n’est pas possible que j’aie raison, que là où je n’avais d’aucune manière, moi qui ” cherchais “, la capacité d’avoir raison. Je ne suis en vérité que là où il n’est pas possible que je sois.
Le trésor, donc, il faut le penser à partir de cette problématique subjective de la vérité : il ne s’agit pas de ce qui m’a marqué (toutes sortes d’événements plus ou moins traumatisants qui auraient marqué n’importe qui à ma place) et par là amené en quelque sorte de force à être celui que je suis, mais tout au contraire de ce qui, marquant, m’aura donné l’impossibilité d’être moi – le lieu d’impossibilité d’où il s’avèrera après coup que mon discours était en première personne. Il faut donc opposer la nécessité d’être soi qui renvoie à toutes sortes de moments de constitution subjective, à l’impossibilité de l’être qui renvoie au contraire à un seul moment (à chaque fois) d’impossibilité subjective.
Le trésor est l’ensemble de ces donations, constitué comme ensemblepar une réflexion que je puis toujours faire pour reconnaître mes impossibilités d’être, lesquelles, à chaque fois, s’entendent simplement d’une absence locale – car il est bien évident que, par ailleurs, ” je ” suis toujours là, anonymement autorisé de savoirs ou de places également anonymes. L’absence dont je parle ici est celle qu’on doit forcément reconnaître au sujet de la métaphore – dès lors que l’énoncé métaphorique, d’être proprement fou, est l’énoncé que personne n’aura jamais eu la possibilité de poser. Dans l’idée de trésor, il faut donc toujours garder la référence à la folie de la métaphore, folie absolue mais dont on peut toujours, à la réflexion, instituer une pluralité (je peux dire aujourd’hui que j’ai produit plusieurs métaphores dans ma vie, bien que sur le moment la folie de ce que je disais ait exclu non seulement que je m’y sois exprimé mais surtout que j’aie su ce que je disais et que je sois identique à celui dont une précédente métaphore avait été l’acte de langage).
Appartient à mon trésor tout ce qui m’aura donné l’impossibilité d’être, à l’encontre de tout ce qui aura exigé de moi un être qui fût (transcendantalement) nécessaire. Mon trésor, c’est mes folies non pas au sens d’un pluriel avéré (” faire des folies “) mais au sens d’une singularité aussi absolue qu’impossible : la folie (et certes ” n’est pas fou qui veut “), dont par après, je pourrai dire qu’elle aura été plurielle mais qui est à chaque fois l’impossibilité absolue d’être réellement sujet d’un énoncé métaphorique. Car pour la métaphore, sujet, on ne l’est jamais que vraiment.
La donation de la folie métaphorique s’oppose à l’exigence de sens, comme la contingence s’oppose à la nécessité et comme la vérité s’oppose au savoir, et c’est depuis cette triple distinction (une seule en réalité) qu’il faut en penser les éléments.
Récuser d’avance l’inéluctable nécessité réflexive
Chacun de nous peut en trouver dans sa propre vie une grande quantité d’exemples pour penser les éléments du trésor à la condition qu’il ne refuse pas de les reconnaître comme tel, notamment en en faisant les moments d’une expérience dont il aurait profité, par exemple à travers l’idée que certaines épreuves nous feraient gagner de la maturité. Car ce que je viens de dire implique, pour les éléments du trésor, qu’ils soient irrécupérables comme expériences, alors même qu’il appartient à la définition de l’épreuve quelle puisse toujours être réfléchie en expérience (par exemple je puis faire profiter un étudiant de mon expérience des concours). Il ne suffit donc pas d’en rester à la corrélation de l’épreuve et de la marque et de dire, une fois la marque reconnue comme le lieu d’une capacité impossible de vérité (car la vérité est précisément ce dont nul n’est capable), que toues les épreuves que nous avons traversées font partie de notre trésor (ce qui serait pour le moins paradoxal, la plupart desdites épreuves nous ayant en quelque sorte abîmés, partiellement détruit). Non : si c’est bien la donation de vérité, qu’on peut encore nommer l’effet de vérité comme grâce, qui définit chaque élément du trésor, alors il appartient à celui-ci de s’entendre selon la même exclusion réflexive dont les notions de don et de grâce sont constituées.
Ce qui est gracieux s’entend en effet, dans son double sens d’une donation sans raison et d’une impossibilité que compte jamais ce dont il faut rendre raison (une démarche gracieuse se reconnaît de ce que les nécessités physiques, toujours importantes – la personne ne va pas se mettre à marcher au plafond – ne comptent plus), par l’impossibilité de la réflexion puisque réfléchir consiste à inscrire dans l’ordre du savoir qui est celui de la reconnaissance des raisons, et que le don comme la grâce ne sont précisément tels qu’à être, comme la rose qui leur sert de paradigme, sans raison. Sans raison, cela signifie aussi contingent. Le trésor est à chaque fois constitué d’un effet de contingence.
Les éléments du trésor sont tous gracieux en ce sens très précis qu’ils récusent d’avance la réflexion et c’est précisément à cela qu’on les reconnaît. Tout ce qui nous marque ne peut donc appartenir à notre trésor – dont par ailleurs il est bien évident que nous ne pouvons faire exhaustivement l’inventaire.
Ces considérations étant posées, il est facile de donner des exemples. Presque trop facile, puisque la présentation de ces éléments est un des ressorts essentiels de l’activité artistique, quand elle est représentative, et qu’il appartient essentiellement aux éléments du trésor qu’ils puissent être présentés.
Par ” présentation “, j’entends ici que l’impossibilité au savoir soit manifeste.
Et comment pourrait-elle l’être, sinon par un travail de pensée, dès lors qu’il n’y a jamais de pensée que du vrai – une fois la pensée définit par son impossibilité subjective ?
Je ne veux pas trop sortir de mon sujet en développant cette idée qui me semble décisive, mais cela n’est pas sans impliquer qu’on reconnaisse à la nature une capacité de penser, alors qu’une telle idée serait parfaitement grotesque si on lui donnait un statut réflexif, puisqu’elle renverrait à on ne sait quel mysticisme plus ou moins panthéiste, à on ne sait quel romantisme avec lesquels une pensée un tant soit peu respectueuse d’elle-même ne saurait aujourd’hui se commettre. Non : je veux seulement rappeler ainsi qu’il appartient à la nature d’être identique à sa propre impossibilité à soi et par conséquent à toute production naturelle de pouvoir être reconnue comme une production de pensée, dès lors que l’impossibilité à soi, quand elle est actuelle, suffit à définir la pensée (laquelle n’est donc en rien concernée par cette réalité humaine triviale qu’on appelle psychisme). Dire que la nature pense, c’est dire par conséquent que les productions de la nature ont pour ” nature ” d’être naturelles – la notion de ” nature ” (avec les guillemets que je lui attribue toujours) renvoyant à l’impossibilité à soi que j’avais présentée de manière positive en disant qu’il était naturel (ou surnaturel, ce qui revient au même, puisque le surnaturel est un naturel de second degré) qu’il y ait la nature. La nature, pourtant identifiable à l’universelle nécessité, donne quand une réalité s’impose à partir du fond que, précisément comme nature, celle-ci est toujours antérieurement à elle-même. Car si l’on nomme ” naturelle ” toute chose qui relève de la nature, on doit dire que la nature elle-même n’est pas naturelle ; or justement : il est naturel qu’il y ait la nature – cette nature qui, de n’être assurément pas naturelle, est par là même identique à sa propre impossibilité. Eh bien la nature, en ce sens très précis, est sujet : il y a des dons que la nature nous fait (par exemples la neige qui tombe à gros flocons sur le jardin, le chant d’un oiseau dans la brume d’un matin d’été…), parce qu’elle n’est alors rien d’autre, comme sujet réel, que sa propre impossibilité. Je veux dire que la nature donne, car elle est impossiblement sujet et que la donation tient précisément à cette impossibilité. D’où cette conclusion que la nature aussi, dans ce cas qui est très précisément celui de notre gratitude et du devoir de respect que nous avons envers elle, est source de ” leçons de vie “.
Bref, tout cela pour dire que certains des éléments de notre trésor peuvent être d’origine naturelle. En voici un, dont Kant nous a indiqué qu’il faisait partie du sien : ” le ciel étoilé au dessus de nous “.
D’autre part j’ai souvent expliqué que la pensée consistait à opérer une distinction, celle de la vérité que dès lors on ne confond plus avec la réalité, alors même qu’il est par principe exclu qu’il y ait jamais autre chose que cette réalité. Faire cette distinction, c’est l’art ; la dire, c’est la philosophie – laquelle s’entend bien sûr de ce que dire soit faire. Dans les arts de la représentation comme le roman ou cinéma (dans d’autres arts apparemment représentatifs comme la peinture – portraits, paysages, natures mortes, etc. – ou la sculpture – statues, allégories, etc. – le représenté importe assurément, mais il ne compte pas), comme aussi dans la philosophie (par conséquent), il appartient à l’auteur de nous donner une œuvre (un livre, un film) qui soit elle-même une donation ! Car telle est la question de ce que nous pourrons par après réfléchir en ” leçons de vie “, s’agissant de représentations : que la pensée soit la donation d’une réalité, le vrai (par exemple un tableau), ayant lui-même à être le sujet d’une donation, laquelle l’est par définition toujours du vrai(par exemple de vieux souliers de paysans – pour garder la référence désormais canonique) . Voilà en quoi consiste la pensée représentative, quand il s’agit bien de pensée et par simplement de représentation comme l’est par exemple le calcul des propriétés et l’” arraisonnement ” servile des choses. En ce sens il est déjà évident que des livres ou des films peuvent appartenir à notre trésor (je rappelle que la rencontre d’une œuvre, par opposition à l’aperception d’un ” produit culturel “, est une épreuve : quelque chose dont on ne se remet pas).
Dans les arts de la représentation, donc, c’est le vrai comme tel et non pas comme objet pour l’activité représentative qui est représenté – et c’est pourquoi l’art donne toujours des leçons de vérité à une réalité dont on aurait pu croire qu’il se contentait de la servir.
Par exemple la vraie dépression économique des années 20 se trouve dans Les raisins de la colère (je parle en même temps de Steinbeck et de Ford) alors même que le film est en grande partie tourné en studio, avec un réalisateur et un acteur principal déjà riches et célèbres, et qui n’ont dès lors pas trop souffert dans leur vie réelle de ce qui ruinait les petits fermiers. En philosophie, nous avons déjà vu que le vrai, dont l’œuvre philosophique est la donation, devait s’entendre comme ” nature “, laquelle produit expressément un effet de vérité qui nous met en quelque sorte au pied du mur de notre pensée. Par exemple nous avons à affronter la question de la morale (notamment dans son opposition à l’éthique, pour reprendre ce qu’on vient de voir), telle que sa ” nature ” kantienne nous oblige à la penser, et il va de soi que cet affrontement, quand on ne l’esquive pas, est lui-même un acte de pensée.
Bref, pour prendre des exemples d’éléments du trésor, il faut qu’ils soient vrais c’est-à-dire qu’ils aient été pensés – ce qui n’exclut paradoxalement pas leur ” nature ” naturelle, parce que si c’est la distinction du vrai qui fait la pensée, il faut dire que la nature, d’être toujours déjà distinguée parce que ne différant pas de sa propre impossibilité, ” pense “. Il y a de la pensée dans la nature, et chacun peut citer de nombreux paysages qui l’attestent irrécusablement. Ces paysages, ils peuvent alors appartenir au trésor : la réflexion n’en fait rien, mais ils donnent toujours à méditer. Et la reprise réflexive de cette méditation, je dis que c’est une ” leçon de vie ” que la nature nous aura donnée, comme le plus sage des hommes aurait pu le faire si la sagesse n’était pas une imposture. Qu’une plaine, des arbres, des bancs de brume encore accrochés aux herbes et des rochers couverts de mousse rassemblés seulement par notre regard ne veulent rien dire et par conséquent n’enseignent rien, c’est ce que nul ne contestera. Eh bien, il y a parmi nous des gens qui, en acquiesçant à cette évidence bruyante, n’en accueillent pas moins une ” leçon ” silencieuse. Ces gens, je dis qu’ils ne sont pas sans âme.
Je vous remercie de votre attention.