par Maxime Auda, chargé de cours à l’Université Paris VII (maxime.auda@wanadoo.fr)
INTRODUCTION
La question du lien entre le discours psychanalytique et la politique n’est pas nouvelle. Si Freud a pu classer l’acte gouvernemental parmi les trois impossibles, aux côtés de l’éducation et de l’analyse, ce lien revient à nous aujourd’hui comme une question brûlante relevant de notre responsabilité qui se pose depuis notre « avenir commun ». Depuis cette ouverture à venir s’énonce en effet une question métaphysique, toujours singulière, de notre possible qui est le point de rendez-vous que se sont données autorité et communauté, en tant que celui-ci se pense avant tout dans mon rapport à l’autre. Entendre cette question, être à l’écoute de ces paroles mystérieuses qui constituent l’énigme de mon héritage, telle est la constitution de l’exigence qui sous-tend notre interrogation. Aujourd’hui, cette énigme s’est révélée à travers les signifiants de « métaphore et transcendance ».
Une constellation structure notre acheminement qui constitue cet héritage. Elle se nomme Lacan, Heidegger, Kojève, Sichère ou Lalloz. Depuis ces expériences tant de lecture que de devenir, une question s’est posée qui s’énonce comme suit. Qu’est-ce que l’autorité ? Que signifie que l’autorité ait toujours été garantie, c’est-à-dire justifiée, « au nom de » quelque idée ? – transcendante ou immanente, comme nous pourrons nous en apercevoir, mais en tout cas extérieure au lieu depuis lequel l’autorité nous interrogeait. Si la notion d’autorité est dans l’histoire de la métaphysique liée à la question de la transcendance, la question se pose en effet de savoir comment s’articule une autorité immanente.
Or à réinterroger à l’aune de l’enseignement lacanien la notion même de transcendance, à travers la critique lacanienne de la pensée platonicienne par exemple, nous nous sommes aperçus que la frontière qu’instaure une certaine tradition philosophique entre transcendance et immanence devient en fait assez floue. En effet, si l’autorité personnelle se justifie toujours « au nom de », nous postulons qu’une certaine forme de transcendance apparaît ici qu’il va s’agir d’interroger. S’agit-il de la transcendance telle qu’elle est née au temps de Platon ? Si tel n’est pas le cas, que nous apprend-elle au sujet de la notion même de transcendance ?
Comme nous pourrons le constater, le cheminement que nous allons emprunter est strictement coextensif d’une certaine conception du rapport que l’homme entretient au langage. Ce rapport, nous l’identifions avec Lacan mais également avec Heidegger et Sichère, selon une transcendance de l’Être et de la parole, autrement du lieu d’où ça parle. C’est donc à mi-chemin entre deux champs – selon nous inséparables – que nous nous situerons, entre psychanalyse et philosophie.
1) Une « imaginarisation » du réel
Les lignes qui suivent n’ont d’intérêt que d’introduire le commentaire de Lacan au sujet du platonisme. Elles ne font que situer brièvement le champ philosophique sur le fond duquel se pense la critique lacanienne. Ce n’est pas un rappel mais un point de départ que nous estimons nécessaire.
1.1 L’origine platonicienne de la notion de transcendance
Il apparaît que le besoin de créer le concept métaphysique de « transcendance » soit né dans la pensée grecque en réponse aux difficultés qu’éprouvait alors la parole philosophique face au caractère perpétuellement changeant de la réalité du monde sensible. Les « objets » de la pensée que fournit le réel sont sans cesse emportés par le devenir. Ce qui « est » est appelé à disparaître ou bien à se transformer. De sorte que ce que je peux dire de « vrai » de quelque corps du monde sensible, deviendra, en tant que proposition, immanquablement faux. La parole semble incapable de dire la vérité comme vérité de l’être dans son éternité et son universalité. Le discours philosophique, qui se veut pourtant plus raisonnable que la parole courante, est donc lui-même condamné à se contredire.
Afin de préserver la spécificité de la parole philosophique en cherchant à lui garantir un accès, dans son discours, à la vérité universelle de l’être, afin de préserver sa distinction vis-à-vis du registre de l’opinion, la doxa, vulgate insoumise à ce que la logique nomme le « principe de contradiction », afin que subsiste une autre raison que celle du plus fort, il faut bien qu’il soit impossible de parler et de penser en vérité tant que le devenir représente la totalité de ce qui est ; il devient nécessaire pour la philosophie de penser la réalité selon des catégories universelles, c’est-à-dire non soumises aux modalités du possible et de la contingence. La notion d’ « essence » permet de concevoir un « en-soi », une manière d’être des « étants » qui « les soustrait à la diversité des représentations subjectives, à la mobilité de l’opinion, à la relativité des termes de comparaison et aux fluctuations du devenir ».
Pour Platon, l’essence existe dès le début, et tout son être consiste à être intelligible. Intégralement pensable, elle permet l’avènement du sens comme tel par le biais d’un organe, l’œil de l’âme. Elle est le garant du sens dont le philosophe a besoin pour dire le vrai et ainsi sortir de l’obscurité inhérente à la doxa. Platon consacrera une grande partie de son enseignement à penser le mode d’existence de ce qui apparaît comme justiciable du lien que la pensée entretient avec les essences – lien que nous identifierons ici et désormais à la notion de « transcendance ». Cette modalité se présente dans son développement platonicien selon deux catégories : la « réminiscence », qui dit le fonctionnement de l‘âme, et la « participation », qui dit le mode d’apparition de l’être.
La participation permet à l’âme d’identifier et donc de penser les choses sensibles en les rendant nommables et pensables, c’est-à-dire identifiables. L’essence permet l’unification nominative du sensible. Cette dimension de l’identification permet de fixer la réalité sensible dans une instantanéité nominative et offre la possibilité à la raison de la répéter à l’identique dans son interrogation ontologique. La participation du monde des Formes à la réalité sensible permet en effet d’interroger « la Forme pure de » tel objet ; indépendante dans son auto-définition, la Forme n’est qu’elle-même. Il faut imaginer pour penser ce qu’il en est de la maternité, par exemple, une mère qui ne serait que mère,c’est-à-dire ni épouse, ni fille, ni sœur, ni quoi que ce soit d’autre pouvant soumettre l’éidos de « mère » à quelque forme de déterminisme extérieur que ce soit. Que ce soit possible ou non dans la réalité sensible, là n’est pas la question. Une mère qui ne serait qu mère, c’est là la façon platonicienne de penser une Forme en extériorité au registre de l’opinion.
Ainsi nous avançons d’une part que l’identification permet la dimension de la « mêmeté », d’autre part nous postulons au sujet de la Forme qu’ « elle n’est qu’elle-même ». Le statut de ce « même » fonde un principe qu’il va s’agir d’interroger en tant que c’est celui de la science philosophique. Or c’est justement à partir de cette question de l’identification que nous allons pouvoir entrer dans une critique de la « participation » platonicienne au nom de la synchronicité du langage. Cette dimension linguistique interroge en effet la « mêmeté » d’une façon tout à fait singulière et nous permet de lire Platon sous un nouveau jour. Nous procéderons consécutivement et coextensivement à une critique de la théorie de la « réminiscence » au nom d’une distinction à établir entre « réminiscence » et « répétition » en tant que, là encore, le registre synchronique du langage nous permet cette distinction.
1.2 Lacan : critique des théories de la réminiscence et de la participation
Si nous parlons du registre synchronique du langage, nous ne nous attacherons que peu à ce que la linguistique en tant que « science humaine » a pu en dire, même si de toute évidence nous ne pouvons en faire totalement fi. Si une critique d’une partie de la philosophie platonicienne est envisageable, c’est avant tout au nom d’un certain structuralisme. C’est précisément à la psychanalyse lacanienne que nous ferons aujourd’hui référence. Ce choix se justifie pour peu que l’on rappelle comment Lacan a subverti le signe saussurien en attribuant le primat au signifiant. Le registre du signifiant comme « représentant le sujet auprès d’un autre signifiant » – à la différence du signe qui représente quelque chose pour quelqu’un – constitue ce que Lacan a appelé le registre Symbolique. Nous trouvons là, dans l’avènement du Symbolique comme une des trois dimensions de l’être, le principe du retour que Lacan a fait non seulement à Freud mais aussi à tout un pan de l’histoire de la philosophie.
Or, ce que Lacan a pu dire de Platon est particulièrement intéressant pour nous aujourd’hui. C’est justement ce que nous allons essayer de comprendre ensemble en découvrant comment ce psychanalyste a pu parler au sujet des notions platoniciennes de « réminiscence » et de « participation » d’ « imaginarisation du Réel » et, partant, comment on peut lire à l’origine de la notion de transcendance un effet de la « barre qui résiste à la signification ».
1.2.1 Le Nom-du-Père et l’objet a
Avant d’exposer l’articulation de ce point de vue psychanalytique du platonisme, il faut préciser un point très important. Nous allons ici parler du « sujet » comme effet du signifiant pour articuler la critique lacanienne. Or non seulement la catégorie du « sujet » en tant que tel est absente de la philosophie platonicienne mais il faut ajouter que cette catégorie elle-même, que le « sujet » donc (terme latin, subjectum) n’a en lui-même rien de grec ; le « sujet » comme tel est totalement étranger au monde grec antique.
Mais il ne s’agit en aucun cas de donner raison à Lacan sur Platon, cela n’aurait aucun sens. Rappeler ici la critique lacanienne du platonisme nous permet avant tout de considérer l’évolution de l’histoire de la métaphysique comme étude de l’être. Le retour de Lacan sur l’histoire de la philosophie a permis l’évolution de la psychanalyse mais également à quiconque souhaite aujourd’hui entrer en philosophie de le faire de façon moderne sans nier l’évolution récente de la pensée. L’invention freudienne est un aboutissement philosophique. La naissance de la psychanalyse s’inscrit avant tout dans une histoire, celle de la métaphysique.
La critique lacanienne du platonisme se supporte de ceci que le sujet est un effet du signifiant. L’ordre du langage est constituant pour un sujet advenant comme tel par l’opération de la « métaphore paternelle ». La structure métaphorique comme trouvant son principe dans la substitution d’un signifiant par un autre singnifiant, se situe à l’origine de l’advenue du sujet humain. Le signifiant du « Nom-du-Père » (S2) en vient à se substituer au signifiant primordial du « désir de la mère » (S1) refoulé dans l’inconscient (refoulement primaire) dans une opération que décrit la métaphore.
Lacan: « La fonction du père dans le complexe d’Oedipe est d’être un signifiant substitué au signifiant, c’est-à-dire au premier signifiant introduit dans la symbolisation, soit le signifiant maternel (…) C’est pour autant que le père vient selon la formule que je vous ai expliquée une fois être celle de la métaphore (S à la place de S’) qui est la mère étant déjà liée à quelque chose qui était x, c’est-à-dire quelque chose qui était le signifié dans le rapport de l’enfant à la mère. »
Cette opération métaphorique dont le sujet est l’effet apparaît donc liée à la dimension de la Loi comme instance transcendante en tant que celle-ci trouve son principe dans l’interdit oedipien. Or cette « métaphore paternelle » connaît un reste, quelque chose qui choit lors du refoulement du signifiant du désir de la mère: ce que Lacan va appeler, développer et théoriser par la suite sous le nom d’ « objet a ». Cet objet trouve son principe dans sa fonction de manque inapurable pour le sujet. Cette dimension du manque structure le désir du sujet. La dimension du manque est fondamentale en ce qu’elle sous-tend la relation d’objet du sujet. Tous les objets que le sujet sera amené à rencontrer au cours de son existence seront une image métonymique plus ou moins satisfaisante pour le fantasme du sujet. Le fantasme est la coupure selon laquelle s’articule le rapport du sujet à son désir. C’est en raison de cette coupure et de la fonction qu’y joue la métonymie que le sujet ne désire pas transitivement. L’objet ne particpe ici d’aucune forme de complémentarité, fût-ce selon un mode direct ou indirect. Le sujet désire à partir de quelque chose, c’est-à-dire intransitivement. Cet état de fait se fonde dans le caractère manquant de l’objet a ; objet inimaginable, c’est-à-dire in-identifiable dans l’autre car nul signifiant n’existe pour se faire support de ce manque, de ce trou dans la vie psychique du sujet. Cette aliénation est un effet de structure – c’est-à-dire nécessaires – du registre Symbolique dans la vie psychique du sujet.
Ce registre du Symbolique a amené Lacan à lire la philosophie de Platon d’une nouvelle façon.
1.2.2 Réminiscence imaginaire et répétition symbolique
Au cours du séminaire qu’il consacra à la relation d’objet en 1956-57, Lacan revint sur la théorie platoncienne de la réminsicence en l’opposant à la répétition kierkegaardienne. Il faut bien comprendre ce qui motive Lacan à opposer ainsi deux phislosophes aussi éloignés, deux pensées s’inscrivant chacune dans des contextes bien différents du point de vue de l’histoire de la métaphysique. Pourquoi Lacan cherche-t-il à opposer ces deux philosophes ? C’est précisément parce que son enseignement psychanalytique, tant oral qu’écrit, s’est structuré ainsi que nous l’avons déjà dit autour de deux retours. On parle toujours du retour à Freud, selon l’expression et le voeu de Lacan lui-même, mais il faut bien ajouter que si Lacan a pu théoriser ainsi sa conception de la psychanalyse et développer tant de nouveautés, ce fut également à l’aune d’une pratique assidue de l’histoire de la philosophie et des auteurs qui la constituent. Les lectures psychanalytiques que Lacan a pu proposer tout au long de son enseignement se firent selon la logique propre à la psychanalyse, cette logique si spéciale que l’on nomme du signifiant et dont nous parlerons dans quelques instants. Ainsi, c’est dans une perspective de théorisation que Lacan propose cette opposition entre la théorie platonicienne de la réminiscence et la répétition kierkegaardienne.
Voici le passage en question:
« Toute cette distance est déjà impliquée dans ce qui oppose une perspective platonicienne – celle qui fonde toute appréhension, toute reconnaissance sur la réminiscence d’un type en quelque sorte préformé – à une notion profondément différente, de toute la distance qu’il y a entre l’expérience moderne et l’expérience antique, celle qui est donnée dans Kierkegaard sous le registre de la répétition, cette répétition toujours cherchée, essentiellement jamais satisfaite en tant qu’elle est de par sa nature non point jamais réminiscence, mais toujours répétition comme telle, donc impossible à assouvir. C’est dans ce registre que se situe la notion de retrouver l’objet perdu dans Freud. »
Lacan trouve dans la répétition kierkegaardienne une topologie propre à penser l’objet perdu freudien qu’il ne trouve pas dans la réminiscence platonicienne. La référence philosophique à Kierkegaard trouve son principe à la fois dans son opposition à Platon et dans la théorisation psychanalytique de l’objet freudien. La question se pose donc de savoir en quoi Kierkegaard peut mieux que Platon aider Lacan à comprendre Freud.
Ce qui, dans la répétition kierkegaardienne, plût à Lacan se trouve dans le caractère de non-satisfaction possible propre à la répétition, dans son impossible assouvissement, dans son inaccessibilité. Or il en va en effet de même pour l’objet perdu freudien. Nous avons vu ensemble l’origine symbolique de cette perdition. Voyons à présent en quoi la répétition y joue un rôle tel qu’elle s’oppose à la réminiscence platonicienne.
La « répétition » telle qu’elle fut théorisée dans l’enseignement lacanien s’oppose à ce qui pourrait se concevoir comme répétition du « même ». Nous retrouvons ici le statut de cette « mêmeté » dont nous avons traité plus haut. La théorie lacanienne de la « répétition » permet de le redécouvrir sous un autre jour. Aussi c’est dans cette perspective d’opposition de la répétition au « même » que l’on lira la formule énigmatique que Lacan a pu donner de cette « répétition » : « ce qui fut répété, [virgule] diffère. » Ce qui se répète, c’est-à-dire le signifiant, s’inscrit comme tel dans une « chaîne signifiante » composée « d’anneaux dont le collier se scelle dans l’anneau d’un autre collier fait d’anneaux »[1], et ne représente jamais rien d’autre, ce faisant, que le sujet lui seul. C’est-à-dire que dans la répétition telle que Lacan a amené à la concevoir à partir de sa pratique des textes de Freud et de l’histoire de la philosophie, nulle référentialité n’est envisageable en dehors du sujet lui-même. Ce qui se répète, diffère, donc, pour autant que le signifiant doit se distinguer du signe en ceci qu’il représente non pas quelque chose pour quelqu’un, mais le sujet pour un autre signifiant.
Et c’est précisément ici que l’on doit voir « l’argument de l’erreur de Platon » selon l’expression de Pierre-Gilles Guéguen et, consubstantiellement, le principe de la critique lacanienne des théories platoniciennes de la réminiscence et de la participation. Cette critique, qui est coextensivement celle du statut du « même », nous pouvons la formuler ainsi : « (…) rien de la fonction du signifiant n’est proprement pensable, sans partir de ceci que je formule : l’Un comme tel est l’Autre. (…) C’est en tant que pure différence que l’unité, dans sa fonction signifiante, se structure, se constitue. »[2] Voyons comment Lacan articule sa critique du platonisme.
La critique lacanienne de la réminiscence intervient lors du séminaire consacrée à la relation d’objet au cours duquel Lacan revient sur une des cinq grandes psychanalyses freudiennes : le cas du petit Hans. Ce que Lacan dit de la réminiscence s’énonce comme suit :
« Ce qui est intolérable dans la situation, c’est que le petit Hans ne peut envisager qu’il y ait une autre Anna dans les vacances de Gmünden. Il le compense dans la réminiscence, je veux dire que dans ce terme très précisément que j’emploie avec l’accent platonicien, comme étant opposé à la fonction de la répétition, à savoir de l’objet retrouvé, il fait de l’objet un objet dont l’idée est là depuis toujours. Il fallait que Platon ait quelque chose qui expliquât notre accès au monde supérieur, puisque nous pourrions y entrer encore que n’en faisant partie.
C’est la même chose que fait le petit Hans, il réduit Anna à quelque chose dont on se souvient depuis toujours. Première étape de cette imaginification de ce réel, réminiscence si vous voulez ; et cela a un autre sens que les histoires de régression instinctuelle. Et puis après cela, à partir du moment où elle est une idée au sens platonicien du terme, voire un idéal, elle est en effet un idéal, et à ce moment là que lui fait-il faire ? Cela aussi est dans son fantasme, il la fait monter à dada sur le cheval, et c’est à la fois humoristique, brillant, mythique, épique, et cela a en même temps tous les caractères de ces textes épiques dans lesquels nous nous exténuons à décrire deux états de la condensation, deux étapes de l’épopée, et à supposer toutes sortes d’interpellateurs, de commentateurs, de mystificateurs pour expliquer quelque chose qui, dans l’épopée comme dans le mythe, tient à ceci : il s’agit d’expliquer ce qui se passe dans le monde imaginaire et ce qui se passe dans le monde réel. »[3]
Le caractère idéal du « là depuis toujours » des Formes platoniciennes permet à Lacan de construire sa critique de la réminiscence. Lacan oppose à cela la structure synchronique du langage et plus précisément la chaîne signifiante comme substrat topologique des lois du signifiant (le signifiant trouve ses place et fonction à s’opposer comme tel à tous les autres). La chaîne signifiante s’articule comme « ce qui ne cesse pas de s’écrire » et trouve son principe dans le caractère « toujours délà là » du registre symbolique. Voyez ce dont il s’agit : il faut distinguer ici ce qui est « là depuis toujours » et ce qui est « toujours déjà là ». Ces deux temporalités appartiennent chacune aux registres lacaniens de l’Imaginaire (« là depuis toujours ») et du Symbolique (« toujours déjà là »).
Là se fonde la critique lacanienne des théories platoniciennes de la « réminiscence » et de la « participation » comme « imaginarisation du réel », dans cette opposition entre les registres lacaniens de l’Imaginaire et du Symbolique. « Les lois de la remémoration et de la reconnaissance symboliques, en effet, sont différentes dans leur essence et dans leur manifestation des lois de la réminiscence imaginaire, c’est-à-dire de l’écho du sentiment ou de l’empreinte (Prägung) instinctuelle, même si les éléments qu’ordonnent les premières comme signifiants sont empruntés au matériel auquel les secondes donnent signification. » [4] En d’autres termes, il ne faut pas confondre la réminiscence des énoncés avec les structures de l’énonciation.
Dans une telle perspective, l’opposition traditionnelle du primat du sens (comme étant là depuis toujours) et de l’expérience doit être repensée. La transcendance du sens, dans la philosophie platonicienne par exemple, participe d’une forme d’idéalisme. Davantage peut-être que les philosophies de l’expérience. Mais à considérer ces deux conceptions traditionnellement opposées à l’aune de ce que nous venons de dire des lois du signifiant et du registre Symbolique, nous apercevons que l’une comme l’autre participent de la même imaginarité. C’est là ce que nous comprenons de ce que Lacan a pu qualifier le platonisme d’imaginarisation du réel.
Ce que Platon n’aurait pas vu, sa méprise, c’est qu’il faut concevoir, comme nous l’explique P.-G. Guéguen, un être non binaire mais trinitaire : « l’Un qui est tout et identique à lui-même, le néant qui est silence et le logos qui englobe les deux autres. Il les conjoint dans une dimension dépliée qui est la dimension du temps. L’Un-tout est insécable, l’Un-tout est éternité. Le néant est silence, temps compacté ponctuel. Le logos seul nous permet de parler de la différence entre l’Un qui est tout et le néant. C’est donc le logos qui introduit le multiple dans l’Un, qui le désigne comme Un et le nomme, tout en effectuant une ponction, celle qui fait que l’Un nécessite l’Autre pour que l’on puisse en parler. Platon avait fait erreur en opposant seulement l’Autre et le même. »[5] Il apparaît donc que la dialectique de l’Un et du multiple trouve son principe, en tant que dialectique, dans la structure du langage lui-même. Le langage est à la fois ce qui fait croire à l’être-un du réel et ce qui introduit le multiple dans la dimension de l’Un. Ce paradoxe se réduit facilement si l’on considère la distinction Imaginaire/Symbolique comme coextensive de la distinction unité/unarité ou bien unicité/unarité, c’est-à-dire à considérer que l’Un peut-être identique à lui-même et donc identifiable lorsque l’on pose que « A = A ».
Alors, me demanderez-vous très certainement, on sent bien qu’il y a quelque lien entre la notion de transcendance chez Platon et la structure du langage, mais quel lien établirons-nous entre la transcendance et le schéma de la métaphore ? Voyons cela.
1.2.3 Le rôle de la « barre »
« Ne saurait-on, avons-nous dit, pointer du doigt l’origine de la transcendance dans la barre qui résiste à la signification ? » Peut-être percevez-vous maintenant que quelque chose de l’ordre d’un élément de réponse à cette problématique initiale se joue au niveau de ce lien entre Symbolique et Imaginaire.
Nous nous attachons depuis le début à montrer ce qui, à l’origine de la transcendance, peut être repris aujourd’hui à partir de ce que la psychanalyse lacanienne a pu énoncer du statut du « même » en tant que la question de l’identification y trouve son principe. Chemin faisant nous avons distingué la « réminiscence imaginaire » comme écho de ce qui a été dit de la « répétition symbolique » comme structure nécessaire et « toujours déjà là » dans laquelle s’inscrit tout aussi nécessairement ce qui semble « là depuis toujours ».
Mais de la même façon que Platon ne séparait pas absolument, radicalement le monde sensible et le monde des essences, on ne saurait concevoir une séparation radicale et irréductible entre les deux registres de l’imaginaire et du symbolique. Car l’avènement du sens, la « signe-ification » comme processus, n’appartient tout à fait ni à l’ordre symbolique ni à l’imaginaire, mais il surgit dans l’entre-deux. Nous avons déjà cité la fameuse formule de Lacan à ce sujet, à savoir que « (…) c’est dans la chaîne du signifiant que le sens insiste mais qu’aucun des éléments de la chaîne ne consiste dans la signification dont il est capable au moment même. » L’imaginaire va fournir le matériel à partir duquel la signification pourra avoir lieu comme processus. Symbolisé, ce matériel aura valeur de signifiant et ne signifiera rien en tant que tel. Encore une fois, c’est dans l’entre-deux du symbolique (où règne le « peu-de-sens », le « pas-de-sens » comme on peut parler de « pas de vis ») et de l’imaginaire (règne de l’illusion de l’Un comme identique à soi) que surgit le sens.
Dès lors, le lien que nous pouvons établir entre transcendance et métaphore se pense comme ressortissant de « la barre qui résiste à la signification », conformément à notre hypothèse de départ. Le rôle que joue la barre « résistant à la signification » est celui, topologique, de cet entre-deux registres Imaginaire/Symbolique. De la même façon que l’essence se manifeste dans le sensible en permettant l’unification nominative de ce dernier selon les limites de ses contours imaginaires – contours imaginaires consubstantiels aux contours eidétiques, symboliques de son essence -, le registre de l’imaginaire est à l’origine de l’illusion de l’être-Un et du signifiant pris pour un signe capable du même sens à n’importe quel moment, conformément à sa définition essentielle. Le lien que nous proposons aujourd’hui d’établir entre transcendance et métaphore se pense consubstantiellement à l’avènement du sens comme tel en tant qu’une barre vient y résister en niant la bi-univocité de ce processus.
La « barre qui résiste à la signification » occupe une place dans l’histoire de la métaphysique. A l’origine de la transcendance se trouve le besoin de garantir, par le biais d’un monde supérieur, une unité de sens, une intelligibilité bi-univoque (l’intelligible participe au sensible qui le manifeste et en retour le sensible participe de l’intelligible dans une unification que permet son nom) indépendante des fluctuations inhérentes aux désirs des hommes et à celles du devenir. Ce monde supérieur est constitué d‘essences qui sont notre unique moyen de tenir ici bas un discours potentiellement vrai au sujet du réel. Dans une terminologie moderne, on pourrait dire de ce monde des essences qu’il suffit à recouvrir le champ du signifié et de cette transcendance qu’elle se réduit à l’universalité du signifiant, autrement dit, qu’elle est un effet de l’illusion unifiante de l’être qu’introduit dans le réel la dimension imaginaire du langage.
1.2.4 Le manque dans l’Autre et la vérité comme « Un-possible »
Si la philosophie platonicienne reste ainsi prise dans les filets de l’imaginaire, c’est qu’elle cherche à nier la dimension du manque dont nous avons vu qu’elle était de structure (comme effet du langage) et qu’en tant que tel était à l’origine de la spécificité de relation en coupure que le sujet entretient à l’objet. Pour être plus précis, nous pourrions ajouter que nier la dimension du manque revient plus exactement à nier le manque dans l’Autre, le grand Autre que Lacan nomme « trésor » ou bien encore « batterie » des signifiants. Ce manque désigne précisément l’absence d’un signifiant, un « moins-un », absence corrélative de la perdition de l’objet a, l’objet perdu freudien. Ce manque marque l’incomplétude de l’Autre, l’incomplétude du champ du signifiant comme ayant part liée à l’impossibilité de dire la vérité toute.
Or, il nous est apparu que la théorie platonicienne de la participation a eu pour objectif d’expliquer le mode d’apparition de l’être à travers l’intelligibilité du sensible. Cette participation permet au philosophe de découvrir dans et par le discours la vérité de l’être de façon méthodique, dialectique, rationnelle. Ce discours que l’on appelle orthos logos (discours droit) est caractéristique de la philosophie. Il se supporte d’une conception totalisante, finie, d’une vérité qui, certes, reste à découvrir, attend d’être nommée, mais qui, en tant qu’elle est précisément à découvrir, se réduit à la connexion de deux modalités : le possible qui recouvre un ensemble quasi infini de situations virtuelles auxquelles les situations réelles peuvent être réduites en tant que prévisibles, et le nécessaire, à savoir « ce sans quoi il est impossible de ». (Or il y a bien une connexion entre ces modalités : dans l’exemple d’Aristote, il est en effet nécessaire que la bataille navale ait ou n’ait pas eu lieu. C’est forcément l’un des deux.) C’est en ce sens, c’est-à-dire dans la perspective qu’ouvre la conception de la vérité comme possibilité nécessaire, que nous réduisions la participation du monde des essences au sensible à l’universalité du signifiant.
Notons ici que cette réduction ne concerne pas que Platon. Nous abordons à présent le lien qui fut établi en philosophie, et en premier par Aristote, entre le dévoilement de la vérité de l’être et la logique. Or nous savons à présent combien cela revient à proprement parler au même, c’est-à-dire à la même « imaginarisation du réel », opération qu’effectue un Logos qui s’ignore comme effet de langage. La modalité de cette conception de la vérité comme attendant d’être découverte, d’être nommée, suppose une compatibilité, si ce n’est une identification du réel comme vérité de l’être et de la logique, seule instrument immanent capable d’énoncer les modalités du vrai. Que la vérité soit tout entière à découvrir – autrement dit, que le réel soit réductible à l’universalité du signifiant -, tel est le credo de la métaphysique et nous trouvons là son caractère foncièrement imaginaire.
Si Lacan ne les a pas lui-même articulées, les critiques qu’il a pu faire des pensées platonicienne et aristotélicienne apparaissent ici consubstantielles. Ces deux philosophies, traditionnellement opposées comme participant, l’une de la transcendance de l’intelligible sur le sensible, l’autre de l’immanence du rationnel au réel, nous semblent s’appuyer toutes deux sur une même imaginarisation du réel. Si nous avons raison de postuler que l’origine de la transcendance trouve son principe dans la barre qui résiste à la signification, alors il faut envisager de distinguer deux formes de transcendances. L’une, imaginaire, que l’on trouve exposée et développée par la philosophie platonicienne mais qui se sous-tend de la même imaginarisation du réel que la logique immanentiste d’Aristote, et une autre, symbolique, qui ressortirait, elle, d’un effet de langage.
S’il faut bien en effet distinguer deux transcendances, une imaginaire et une autre symbolique, nous devons à présent examiner la question philosophico-politique de la perte de la transcendance. En effet, cette transcendance dont on dit qu’elle a été perdue, quelle est-elle ? Nous allons donc examiner la topologie selon laquelle la notion d’autorité souveraine s’articule dans les différents systèmes philosophiques qui ont accordé une place à cette question.
2) Transcendance et autorité souveraine
La quiddité de ce lien qui s’écrit entre autorité et transcendance nous intéresse au plus haut point. Nous avons voulu montrer en première partie comment une certaine forme de transcendance assurait à Platon comme à Aristote, même si cela se présente sous des formes fort différentes, la possibilité discursive de dire le vrai ; de façon coextensive, nous allons étudier à présent comment ces deux penseurs, entre autres, ont pu bâtir leur philosophie politique et plus particulièrement leur conception de l’autorité souveraine. Aristocratique ou démocratique, la question de l’autorité ne saurait être pensée en extériorité à la notion de transcendance. Mais de quelle transcendance s’agit-il ? Pouvons-nous retrouver ici la distinction que nous envisageons entre transcendance imaginaire et symbolique ? Précisons donc ce que nous voulons entendre ici par « autorité souveraine ».
Pour ce faire, nous nous appuierons sur deux auteurs : Alexandre Kojève et son œuvre intitulée La Notion de l’autorité ainsi que Robert Legros et La Question de la souveraineté, Droit naturel et contrat social. Plutôt qu’une juxtaposition de ces deux « trésors de signifiants maîtres », nous allons tenter d’exposer ici la topologie selon laquelle autorité, souveraineté et transcendance peuvent communiquer entre elles.
- Kojève organise la partie analytique de son exposé de façon tripartite : phénoménologique (répondant à la question « qu’est-ce que c’est », la question de l’essence, appliquée à tous les phénomènes que nous qualifions « instinctivement » d’autoritaires), métaphysique (qui rattache le phénomène de l’Autorité à la structure fondamentale du Monde objectivementréel), puis ontologique (qui étudie la structure de l’Etre en tant que tel). R. Legros oppose souveraineté aristocratique et démocratique en mettant à jour, pour chacune, les limites « par le haut et par le bas ».
En examinant les quatre types purs d’Autorité comme A. Kojève a pu les repérer dans l’histoire de la philosophie – auprès de Platon, Aristote, Hegel et de la scolastique – nous souhaitons montrer quels liens ces quatre conceptions de l’Autorité entretiennent avec ce que nous avons pu dire depuis le début au sujet de la transcendance. Nous mènerons cet examen en jugeant de la souveraineté de ces différentes conceptions. Pour ce faire, nous ferons nôtre la méthode employée par R. Legros permettant de déterminer précisément quelles sont les limites topologiques de la souveraineté. Il s’agit là de souligner le lien qui s’établit entre la force symbolique de l’autorité en tant qu’elle se réalise « au nom de » et la transcendance. Si nous pouvons démontrer qu’un tel lien existe dans les quatre purs d’Autorité, nous aurons réussi à jeter un pont direct vers la dimension de la transcendance. Mais s’agira-t-il pour autant dans ces quatre conceptions de l’autorité d’une seule et même forme de transcendance ?
2.1 L’autorité « au nom de »
Distinguons les notions de « souveraineté » et d’« autorité ». La souveraineté se définit comme « le statut du pouvoir le plus élevé comme tel ». Le caractère autoritaire de ce pouvoir inscrit par principe ce dernier dans un principe d’incontestabilité. On ne parlera d’autorité qu’en l’absence consciente volontaire de réaction chez celui sur qui s’exerce l’autorité. Or la souveraineté d’une autorité est toujours « justiciable de » ; sa justification se fait toujours « au nom de ». C’est ce que nous allons voir.
Les quatre types purs d’autorité, tels que Kojève a pu les repérer dans les philosophies de Platon, Aristote, Hegel et la scolastiques, s’énoncent comme suit :
1) La théorie théologique ou théocratique : l’Autorité primaire et absolue appartient à Dieu ; toutes les autres autorités (relatives) en sont dérivées.
2) La théorie de Platon : l’Autorité (« juste » ou « légitime ») repose sur et émane de la « Justice » ou « équité ». Toute « autorité » ayant un autre caractère n’est qu’une pseudo-autorité, qui n’est en réalité que la force (plus ou moins « brute »).
3) La théorie d’Aristote, qui justifie l’Autorité par la Sagesse, le savoir, la possibilité de prévoir, de transcender le présent immédiat.
4) La théorie de Hegel, qui réduit le rapport de l’Autorité à celui du Maître et de l’Esclave (du Vainqueur et du Vaincu), le premier ayant été prêt à risquer sa vie pour se faire « reconnaître », le second ayant préféré la soumission à la mort.[6]
Nous proposons d’étudier ces quatre théories deux à deux en partant de la distinction apriorique qui semble les séparer. En effet, ces quatre conceptions s’appuient tour à tour sur une référence ouvertement transcendantale (Platon et la scolastique) ou immanentiste (Aristote et Hegel). Notre but avoué est le suivant : montrer que dans les deux cas, une certaine forme de transcendance est à l’œuvre qui n’est pas forcément celle que l’on attendait.
2.1.1 Autorités transcendantales
2.1.1.1 L’autorité scolastique
La place qu’occupe la transcendance dans la conception scolastique de l’Autorité, par exemple, peut ainsi sembler la plus évidente ou du moins la plus évidemment envisageable. En effet, la référence divine comme au-delà, infini, absolu, argument ontologique, cause première de tout existant et cause finale de l’être, se situe au cœur de cette philosophie théologico-politique. On retrouve ainsi la conception scolastique de l’autorité divine dans les principes du droit médiéval qui ne pouvait concevoir de théorie de la souveraineté étatique qui ne fut principalement théocratique et déiste. Pensées métaphysiques et théologiques se sont trouvées ainsi indissociablement liées durant toute la période scolastique. Les légistes catholiques s’appliquaient ainsi à dégager une conception métaphysique de la politique et du droit à dessein de légitimer ces deux pôles et d’en assurer la souveraineté.
Or par là même, la conception scolastique de la souveraineté connaît une limite par le haut bien évidente : l’autorité de Dieu sera toujours supérieure à la souveraineté de l’Etat qui tire sa légitimité de cette transcendance, ne serait-ce qu’en tant que référence, garantie. Elle connaît aussi bien une limitation par le bas pour autant que cette conception accorde et reconnaît une place prépondérante au droit naturel et donc à la hiérarchie ou, plus précisément, au pouvoir hiérarchique. Le transfert de l’autorité divine vers le roi se fait en effet par hérédité. C’est-à-dire que les sous pouvoirs existants sur le territoire sur lequel l’autorité souveraine est censée s’exercer, l’autorité souveraine en présence en reconnaît l’autorité, conformément à son principe hiérarchique fondateur. Ces sous pouvoirs forment ainsi une limitation par la bas de la suprématie du pouvoir souverain. Remarquons ici comment la notion de « souveraineté » se définit topologiquement à travers ses propres limites. A assurer sa propre légitimité « au nom d’ » une autorité transcendante, les conceptions aristocratiques et scolastiques de la nature souveraine de l’autorité s’inscrivent elles-mêmes entre deux limites, en haut et en bas de la hiérarchie.
Nous cherchons ici à mettre en valeur le lien topologique entre d’un côté les idées de légitimité, de limites, de transcendance et de l’autre cet « au nom de » comme moyen de légitimation. Mais avant d’entrer dans l’analyse symbolico-topologique proprement dite, il nous faut poursuivre cette première étude phénoménologique en tentant de distinguer si et comment s’articule la référence à la transcendance dans les trois autres types d’Autorité, à savoir chez Platon, Aristote et Hegel. En effet, si la transcendance occupe une place fondamentale dans la philosophie platonicienne, rien n’est moins sûr en ce qui concerne les pensées immanentistes aristotélicienne et hégélienne.
2.1.1.2 L’autorité platonicienne
- Kojève explique que : « Pour Platon, toute autorité est – ou, du moins, aurait dû être – fondée sur la Justice ou l’Equité. Toutes les autres formes d’Autorité sont illégitimes. Ce qui veut dire, pratiquement, pas stables, non durables, passagères, éphémères, accidentelles. Ce ne sont que des pseudo-autorités. En réalité, tout pouvoir qui ne repose pas sur la justice ne repose pas non plus sur une Autorité au sens propre du terme. Il ne se maintient que grâce à la force (à la « terreur »). »[7]
La référence platonicienne à l’Essence transcendante de la Justice garantit la légitimité de l’autorité. C’est donc de la même façon que ce philosophe garantit au discours la possibilité de dire le vrai d’un côté et de l’autre l’autorité aux hommes de pouvoir. Le Juste fait autorité car il a atteint l’éidos éternel, essentiel de Justice. C’est donc « au nom de » la Justice que le juge, en tant qu’il réalise cette essence, fait autorité ici bas. Comment l’ontologie peut-elle impliquer un certain style de politique ?
La conception platonicienne de l’ontologie s’appuie sur une subordination de l’Etre à l’Un identifié au Bien suprême, intelligence créatrice de l’univers. Cette conception ontologique de l’Un transcendant à l’Etre implique un cheminement logique de la création de l’univers à la notion de droit. L’univers est l’œuvre d’une Intelligence Souveraine, absolue, idéale et éternelle. L’univers est l’œuvre d’un Démiurge – c’est à dire d’un architecte qui, à partir d’un modèle théorique qui est éternel et parfait, idéal et absolu, a construit matériellement le monde tel qu’il est. Cet Univers ordonné et vivant est habité par les modèles éternels que sont les Formes : seules les Formes sont réelles et absolues – telles la Forme du Beau, du Bien, du Juste. Dans le domaine de l’Art, l’Idéal à atteindre est le Beau. En Morale, l’Idéal à atteindre est le Bien. La Politique, c’est la Morale de l’Etat, le gouvernement de l’Etat par la Justice. On s’aperçoit donc que s’il y a transcendance de l’Un par rapport à l’Etre, cela implique fondamentalement une hiérarchie des existants.
Dans la perspective platonicienne, toute politique a pour lieu le fond de la caverne. L’important est non seulement que le gouvernant soit un de ceux qui sont sortis de la caverne pour accéder aux Essences, mais également que l’autorité qu’il a acquise ce faisant ne lui soit pas contestée – qu’il s’agisse en d’autres termes d’une autorité véritable, c’est-à-dire souveraine. Le philosophe se présente donc dans la théorie platonicienne comme le plus à même de revêtir l’autorité du Juge car il est celui qui a vu la Justice.
Selon Platon, dans La République, la Justice est la vertu qui attribue à chacun sa part. Alors comment savoir quelle est la part de chacun ? Ce sont les gouvernants qui le savent, lorsqu’ils sont sages, qu’ils raisonnent justement, qu’ils ont une sorte d’inspiration de ce qui est juste parce qu’ils sont philosophes. Par exemple, la Justice veut que les capacités variables des hommes les conduisent à appartenir à trois classes sociales subordonnées les unes aux autres : – la classe des magistrats-philosophes qui gouverne, – la classe des guerriers-gardiens qui maintient ce qui est, – la classe des producteurs, agriculteurs et artisans, qui produit. La Justice dans la Cité est la subordination hiérarchique des classes.
La transcendance de l’Un sur l’Etre et implique en tant que telle une hiérarchie des étants. Cette transcendance s’inscrit nettement dans l’articulation platonicienne de la justice et de la politique. Un garant existe qui légitime non seulement la vérité mais également la justice. Ce garant est dit transcendant en tant qu’il est supérieur et coupé de ce monde-ci. C’est donc bien la transcendance en tant que telle qui garantit la souveraineté de l’autorité dans la conception platonicienne. La transcendance joue également un rôle fondamental dans le principe politique scolastique où l’autorité divine apparaît comme le garant de l’autorité des hommes. Pourtant dira-t-on qu’il s’agit là d’une transcendance similaire, ou ne serait-ce qu’analogue à celle dont nous venons de parler au sujet de la conception scolastique de l’autorité divine ? Ne s’agit-il pas là de deux moments fort éloignés de la philosophie ? Les notions, les catégories ont elles-mêmes une histoire, participent d’un devenir qui est celui de l’histoire de la langue métaphysique. Chaque mot, le retrouvât-on plusieurs siècles plus tard, possède un sens précis dans un contexte précis. Peut-être ne peut-on même pas envisager de comparer ces deux formes de transcendance ! Peut-être…
Simplement, il est troublant de remarquer qu’à l’instar de l’autorité divine scolastique, la participation de l’autorité platonicienne à l’Essence de la Justice inscrit cette dernière dans des limites analogues à celles que souligne R. Legros au sujet de la souveraineté aristocratique. En effet, la politique, affaire de Bien et de Justice, est réservée comme telle aux meilleurs, à savoir les philosophes. La transcendance assure le bien fondé et l’équité de la justice sur terre en répartissant les hommes selon leurs capacités, selon leur qualité d’âme. Ici encore la « participation » joue un rôle fondamental en tant qu’elle assure aux philosophes l’intelligibilité de la Justice. La transcendance de l’Essence éternelle de Justice est nécessaire à l’établissement de l’autorité comme telle. Cette nécessité tient tant à la « coupure » qu’à la « supériorité » propre à la transcendance. Ce statut implique en effet nécessairement une absence de réaction auprès de celui sur qui s’exerce l’autorité. On trouve là la fonction essentielle de la transcendance dans la topologie autoritaire et plus précisément dans cette impénétrabilité des voies transcendantales. Aussi la transcendance pose-t-elle problème pour autant qu’en elle se trouve la garantie mais également limite à la fois la souveraineté de l’autorité.
La souveraineté des autorités scolastique et platonicienne connaît des limites. Celles-ci sont fixées par la transcendance ; cette même transcendance qui les légitime. L’autorité n’existerait en effet pas sur Terre sans que le monde des Formes et des Essences ne valide cette autorité comme vraie, c’est-à-dire comme légitime. Les philosophes ne font autorité qu’ « au nom du » concept dont ils s’autorisent. Nous retrouvons là le statut transcendant comme tel du « au nom de ». Or il apparaît que la légitimation de l’autorité par la transcendance impose par elle-même une limite à la souveraineté de cette même autorité. La souveraineté des autorités transcendantales est donc relative. Qu’en est-il des autorités immanentistes ?
Aristote le premier critiqua la position de son maître Platon sur le sujet du pouvoir. « Les Politiques, en effet, commencent par une critique d’une position socratique et platonicienne qui identifiait, sous un concept général de pouvoir, des situations d’autorité aussi différentes que celles de magistrat d’une cité, de roi, de chef de famille, de maître d’esclaves. Si Aristote pose une différence spécifique entre le pouvoir du père de famille et celui d’homme politique, c’est parce qu’il y a une différence d’espèce, et non pas seulement de taille, entre une famille et une cité. »[8] De la même façon qu’il a pu critiquer l’invention platonicienne d’un monde supérieur et plus vrai que le monde sensible, Aristote articule sa conception de l’autorité de façon non transcendantale. Voyons comment se structurent les conceptions immanentistes de l’autorité en examinant les systèmes aristotéliciens et hégéliens.
2.1.2 Autorités immanentistes
Les conceptions de l’autorité issues des philosophies d’Aristote et de Hegel sont deux exemples de maîtrise. Il s’agit tant pour Aristote que pour Hegel d’appuyer leurs théories de l’autorité sur la relation Maître/Esclave. Le Maître aristotélicien aura autorité en tant que chef de bande et cette maîtrise, comme nous allons être amené à l’expliquer, repose sur le savoir ; tandis que l’autorité du Maître hégélien sera le fruit d’une épreuve dont les deux protagonistes sortiront transformés.
Aristote et Hegel ont développé leur métaphysique selon un immanentisme logique. La logique tient d’ailleurs une place toute particulière dans les deux systèmes. L’être aristotélicien se dit à travers des catégories logiques prédicatives ; la logique hégélienne réunit au sein de la conscience, l’être et la pensée. La transformation hégélienne de la métaphysique en logique consiste dans la démonstration de ce que la métaphysique ne fait que postuler : que l’être est en sa vérité Logos, c’est-à-dire concept ou idée. Quel rapport cette immanence du réel à la logique entretient-elle avec la notion d’autorité ? Voyons à présent la topologie de ces deux théories.
2.1.2.1 L’autorité aristotélicienne et l’éthique de maître
- Kojève expose comme suit le principe de l’autorité aristotélicienne : « D’après Aristote, le Maître a le droit d’exercer une Autorité sur l’Esclave parce qu’il peutprévoir, tandis que ce dernier ne fait qu’enregistrer les besoinsimmédiats et se fait guider exclusivement par eux. C’est donc, si l’on veut, l’Autorité de l’ « intelligent » sur la « bête », du « civilisé » sur le « barbare », de la « fourmi » sur la « cigale », du « clairvoyant » sur « l’aveugle ». (…) Celui qui se rend compte du fait qu’il voit moins bien et moins loin qu’un autre se laisse facilement mener ou guider par lui. Il renonce donc consciemment aux réactions possibles ; il subit les actes de l’autre sans s’y opposer, sans même poser de questions : il suit l’autre « aveuglément ». » [9] La relation Maître-Esclave qu’instaure Aristote repose sur ce que nous conviendrons d’appeler une « éthique de maître ». Nous allons essayer de comprendre comment celle-ci se structure.
Ainsi que le notent Michel Crubellier et Pierre Pellegrin dans Aristote, le philosophe et les savoirs : « Comme tous les discours idéologiques, c’est-à-dire justificateurs, tenus par les classes dominantes par le biais de leurs intellectuels, la théorie aristotélicienne ne manque pas de dire que les esclaves ont intérêt à leur servitude. Le système esclavagiste est en vue de la « sauvegarde mutuelle » du maître et de l’esclave, puisque « la même chose est avantageuse au maître et à l’esclave » (Pol. I 2, 1252a 2). »[10] Dans cette version aristotélicienne de la dialectique du Maître et de l’esclave, l’autorité du maître est sous-tendue par l’intérêt de l’esclave. L’esclave reconnaît son maître comme tel car c’est là son intérêt. Cet intérêt trouve ainsi son principe en ceci que l’esclave, voyant « moins bien et moins loin » que le maître, se laisse « guider » par ce dernier.
Pour autant on ne saurait réduire cet « intérêt » à une complémentarité du type besoin/satisfaction ; il indique en effet le lien que ce rapport Maître/Esclave entretient avec le Bien lui-même – Bien qu’édicte la Nature. Naturellement, l’esclave est incapable de prévoir et de délibérer ; il ne saurait donc assurer seul sa subsistance. Aussi c’est conformément à la nature que les esclaves servent les maîtres et que ces derniers veillent sur les premiers, réalisant par là même leur « excellence éthique ». On peut donc dire de l’autorité aristotélicienne qu’elle se réalise « au nom de » la Nature, de la même façon que l’on a pu dire de l’autorité scolastique qu’elle se réalisait « au nom de » Dieu ou de l’autorité platonicienne qu’elle se réalisait « au nom de » la Justice.
A Kojève écrit que : « Quand Aristote dit que l’esclave trouve son avantage dans sa servitude, il veut dire que grâce à elle il entre, à titre de moyen, dans une activité qui est meilleure que celle à laquelle le conduirait sa seule nature. Quant au maître, l’intérêt qu’il trouve au système esclavagiste, ce n’est pas de « faire de l’argent », comme c’est le cas de l’esclavage contre nature du « mode de production esclavagiste », mais de se libérer de tâches qui le détourneraient des fonctions qui assurent son excellence éthique et le mènent au bonheur. Outre la gymnastique, Aristote pense évidemment à la politique et à la spéculation intellectuelle. »[11] C’est précisément là, dans la structure de cette « excellence éthique », que nous voyons poindre ce que Lacan a appelé « l’éthique de maître » aristotélicienne.
L’éthique de la maîtrise dans laquelle se fonde l’autorité selon Aristote participe du « Souverain Bien ». De ce dernier, Aristote enseigne dans le livre premier de son Ethique à Nicomaque qu’il est le bonheur. Or le bonheur correspond à la réalisation pratique de la fonction la plus haute et la plus excellente de l’âme humaine, à savoir la Raison. En tant que telle, l’éthique de la maîtrise touche à la tempérance et l’intempérance, nous dit Lacan, c’est-à-dire à « quelque chose qui relève de la maîtrise du sujet par rapport à ses propres habitudes ». L’esclave trouve là ses fonctions et place : il permet au maître d’exercer la partie la plus haute et la plus noble de son âme, sa Raison et ainsi de tendre vers le « Souverain Bien ».
Mais, ajoute Lacan, « l’inconséquence de cette théorisation est tout à fait frappante. [A relire] ces passages célèbres qui concernent précisément l’usage des plaisirs, vous y verrez que rien n’entre dans cette optique moralisante qui [ne] soit du registre de cette maîtrise, d’une morale de maître, de ce que le maître peut discipliner. Il peut discipliner beaucoup de choses, principalement son comportement relativement à ses habitudes, c’est-à-dire au maniement et à l’usage de son moi. Mais pour ce qui est du désir, vous verrez à quel point Aristote lui-même doit reconnaître – il est fort lucide et fort conscient que ce qui résulte de cette théorisation morale pratique et théorique – c’est que les épithemia (épithémia), les désirs se présentent très rapidement au-delà d’une certaine limite qui est précisément la limite de la maîtrise et du moi dans le domaine de ce qu’il appelle nommément la bestialité. Les désirs sont exilés du champ propre de l’homme, si tant est que l’homme s’identifie à la réalité du maître, à l’occasion c’est même quelque chose comme les perversions. »[12]
La discipline que s’impose le maître correspond à une éthique qui est celle du « bien-vivre » (conformément à la conception aristotélicienne du bonheur) ; cette discipline est au service du Bien naturel. En dehors de ce champ de cette discipline l’humanité prend fin et commence la bestialité. Le champ éthique du maître délimite donc non seulement l’excellence du maître et par là les conditions de son accès au bonheur mais également son identité. En d’autres termes, cette éthique de maître répond à ce que nous appellerons la « nécessité à soi » de l’identité du maître – dès lors réduite à une pure instance imaginaire – en niant toute forme de contingence, d’« impossibilité à soi » propre à la dimension du désir, ce qui dans l’homme tend à refuser d’obéir aux commandements éthiques de la maîtrise. Autrement dit, ce qui ne correspond aux critères du « Souverain Bien ».
Les deux pôles que nous appelons ici « nécessité à soi » et « impossibilité à soi » sous-tendent une critique de l’aristotélisme éthique, nous les reprendrons plus en détail en troisième partie. Disons pour l’instant que la « nécessité à soi » tient son caractère nécessaire de son essence naturelle et que « l’impossibilité à soi » est le pendant éthique de la « contingence » métaphysique que nous avons abordée en première partie.
La métaphysique aristotélicienne a refusé de se baser, après Platon, sur un monde transcendant, soi-disant plus vrai que celui-ci. Tout se trouve ici-bas, nul besoin d’aller chercher au ciel un garant pour dire le vrai sur le Monde, l’Etre ou le Bien. Seule la logique permet d’identifier le réel tel quel, de réunifier le réel et l’intellectuel. L’autorité du chef sur la bande, du maître sur l’esclave, du berger sur le troupeau, ressortit dès lors clairement de cette conception. La spéculation intellectuelle fait partie, avec la gymnastique et la politique, des prérogatives du maître lui permettant en effet de voir « mieux et plus loin » que l’esclave, de prévoir et d’échafauder des projets. Mais cette supériorité est de nature ; on peut donc supposer qu’au-delà de l’autorité inhérente à la maîtrise, la nature fait elle-même et supérieurement autorité en se confondant avec le Bien. Ne saurait-on voir ici une limite à la souveraineté de cette autorité du chef ? Immanente, cette autorité de nature ne rencontre-t-elle pas une limite « par le haut » face à la question de la transcendance (ici de la Nature) ?
Par ailleurs une autre limite apparaît niant la souveraineté de l’autorité aristotélicienne qui est éthique. Cette limite concerne l’identité du maître que sous-tend cette éthique de la maîtrise. A nier la contingence de la dimension du désir dans l’homme, la souveraineté de l’autorité du maître ne rencontre-t-elle pas également une limite pour ainsi dire intrinsèque ? En effet, le maître ne fait autorité qu’à s’autoriser de cette éthique de la maîtrise. Non seulement le maître ne fait donc pas autorité mais seulement la maîtrise, mais il s’agit d’une autorité perverse niant la contingence propre au désir.
On s’aperçoit petit à petit, à étudier ces grandes conceptions de la notion d’autorité issues de l’histoire de la philosophie, que la souveraineté de ces autorités touche une limite avec la question de la transcendance. Mais à y regarder de près cette transcendance ne peut ni être celle de Platon ni celle de la scolastique puisque nous la rencontrons également dans une pensée immanentiste comme celle d’Aristote. Cette transcendance, que nous associons de plus en plus clairement à la question du « au nom de », est d’une autre nature que ces transcendances philosophiques ou théologiques. Il nous faudra l’identifier et en définir la topologie. Voyons pour l’instant ce qu’il en est dans la conception hégélienne de l’autorité.
2.1.2.2 L’autorité hégélienne : la dialectique et le savoir absolu
La théorie hégélienne se présente sous la forme fameuse de la dialectique du Maître et de l’Esclave. « La Maîtrise naît de la lutte à mort pour la « reconnaissance » (anerkennen). Les deux adversaires se posent un but essentiellement humain, non animal, non biologique : celui d’être « reconnus » dans leur réalité ou dignité humaines. Mais le futur Maître soutient l’épreuve de la Lutte et du Risque, tandis que le futur Esclave n’arrive pas à maîtriser sa crainte (animale de la mort). Il cède donc, se reconnaît vaincu, reconnaît la supériorité du vainqueur et se soumet à lui comme l’Esclave à son Maître. Et c’est ainsi que naît l’autorité absolue du Maître dans ses rapports avec son esclave. »[13] C’est ainsi qu’A. Kojève présente les choses dans son traité. Nous pouvons aisément nous apercevoir qu’une dualité sous-tend cette dialectique qui est celle de l’ « être humain » et de l’ « être animal ». Il s’agit d’une lutte pour la reconnaissance de son humanité par l’autre. La nature ontologique de cette dialectique est donc à définir. Pour cela, nous devons en passer par la métaphysique hégélienne.
Par son attention portée au langage, Hegel cherche à redéfinir les conditions d’une science comme savoir vrai. En tant que telle, la science doit exiger l’identique, le constant, le mesuré et ne peut que récuser la conscience immédiate comme flux d’apparences. « Le langage seul est accueil de l’être, lui seul décide du vrai, à mesure de sa domination sur nos sens, nos préférences, notre individualité, notre historicité. »[14] A l’origine du savoir est le langage pour autant que selon Hegel, héritier de Spinoza, l’universalité du Logos assure à la Raison la possibilité d’arraisonner la totalité de l’être dans un savoir absolu. Pour Spinoza, le Dieu entendement infini était le garant de cette absoluité, pour Hegel, c’est l’Esprit avec un grand « E ». Dans la perspective hégélienne, « Il s’agit dès lors de restituer au langage ses pouvoirs de réflexion et de science, et, pour cela, d’enraciner ses puissances dans une origine commune à l’être et au connaître, au monde et à la science. »[15]
La quête de cette « origine commune » amène Hegel à poser les principes d’une ontologie fondamentale et décrit un trajet, dialectique, historique qui est celui de l’Esprit (c’est-à-dire la totalité du réel en tant qu’il est rationnel) se réalisant au fil de « prises de conscience ». Au terme de son Histoire, l’Esprit a besoin de savoir, de prendre conscience de son Savoir absolu. Cet avènement de l’Esprit comme tel est structuré par une « dialectique de la conscience ».
Chez Hegel, le projet de la dialectique de la conscience s’organise pour essayer de comprendre le mouvement de la constitution du rapport du sujet à lui-même dans son déploiement.
Le premier moment de la dialectique est mouvement de séparation de soi d’avec soi-même. Ce mouvement d’extériorisation est indispensable si la conscience doit pouvoir se mettre en rapport avec elle-même, c’est-à-dire se constituer comme conscience de soi. La conscience se pose donc d’abord à distance d’elle-même comme objet et c’est seulement dans cette auto-objectivation qu’elle peut avoir conscience de quelque chose d’extérieur à soi. Pour Hegel, l’aliénation de l’esprit hors de lui-même commence dès ce premier moment. En effet, à l’issue du mouvement d’extériorisation, la conscience prend sa propre objectivation comme une objectivation donnée, puisque le pour soi est un objet extérieur à la conscience en soi.
Ce retour réflexif figure le deuxième moment, la deuxième étape de la dialectique, où se pose la conscience illusoire. Pour Hegel, la conscience de soi (Selbstbewusstsein) est le type même de la conscience illusoire, dans la mesure où cette conscience est encore radicalement subjective. Comme telle, elle est aussi un nouveau témoignage de son aliénation puisqu’à l’issue du deuxième moment, la conscience est persuadée qu’il n’y a pas d’objectivité indépendante d’elle. La conscience pour soi en soi est une subjectivité qui exclut tout rapport positif à l’objectivité, c’est-à-dire à l’objet indépendamment de la conscience qui le pense. Pour sortir de cette conscience illusoire, il faut un troisième moment.
Il faut que la subjectivité instaurée se repose comme telle objectivement en face d’elle-même et se rapporte à nouveau à elle-même ; c’est ainsi qu’elle devient objectivement pour elle-même ce qu’elle n’était encore que subjectivement. A ce niveau d’unité, la conscience réalise la raison de telle sorte qu’on puisse avancer, comme le formule Hegel que : « La pensée c’est l’activité consistant à se placer en face de soi pour être pour soi et d’être soi dans cet autre soi. »
C’est sur un tel mouvement dialectique que se constitue la reconnaissance de soi par l’autre et de l’autre par soi. Et c’est ce qu’illustre de la façon la plus accomplie la dialectique du Maître et de l’Esclave.
Au départ, l’homme n’a d’homme que le statut d’animal vivant. Comme tel, il n’est qu’un être de besoins. Pour conquérir son identité, il lui faudra devenir être de désir, c’est-à-dire conscience désirante ou conscience de soi. Pour accéder à la conscience de soi, l’animal vivant est mis dans l’obligation de devoir supprimer l’autre comme animal vivant, puisque l’avènement de la conscience de soi impose de pouvoir se reconnaître dans l’autre. Chacun n’existe comme conscience de soi que parce que l’autre existe comme conscience opposée à lui. L’individu humain ne se reconnaît donc comme conscience de soi que par l’intermédiaire de l’autre. Or, pour exister comme conscience soi, il faut nier l’autre en tant que conscience désirante. La prise de conscience du sujet désirant n’a donc de sens qu’en tant qu’opposée à une autre conscience désirante dont il exige d’être reconnu.
L’autorité hégélienne se structure de façon éminemment dialectique. Et c’est bien là précisément son point d’accroche immanentiste. L’Esprit hégélien, soit la totalité du réel, advient à la mesure d’une dialectique tripartite de la conscience au terme de laquelle la raison (Vernunft) sert le rapport du sujet au monde. Nulle transcendance ici donc. De la même façon que la conception aristotélicienne, la pensée hégélienne de l’autorité s’oppose aux philosophies platonicienne et scolastique sur le point précis de la transcendance.
Mais nous devons préciser notre propos. Car s’il est traditionnel d’opposer transcendance et immanence dans l’histoire de la métaphysique, il nous apparaît aujourd’hui qu’à pointer du doigt l’origine de la transcendance dans la barre qui résiste à la signification ainsi que nous avons pu le faire en première partie, certaines théories métaphysiques habituellement opposées comme celles de Platon et d’Aristote se rejoignent sensiblement en tant qu’elles butent chacune sur la question d’une certaine transcendance. Or, ainsi que nous avons essayé de le souligner, cette opposition ne tiendrait en fait que si l’on conserve une conception imaginaire de la transcendance. En fait tant que nous restons nous-mêmes dans le registre imaginaire de la métaphysique.
Ce registre de l’Imaginaire propre à la métaphysique, que celle-ci soit immanentiste ou bien transcendantale, ressortit d’une imaginarisation du réel. La transcendance dont nous essayons de poser ici les principes est non pas imaginaire mais symbolique. C’est-à-dire qu’elle repose sur cette logique singulière qui, d’être du signifiant, nous permet de penser la topologie selon laquelle se structurent certaines grandes conceptions de la notion d’autorité en tant qu’elles se légitiment toutes « au nom de ».
Légitimant leur conception de l’autorité par la transcendance d’un autre monde (le monde des Formes et des essences chez Platon, le Dieu de la Bible pour la scolastique), ou bien par une immanence de la raison au réel (la logique et le savoir pour Aristote, l’Esprit, la dialectique et le savoir absolu pour Hegel), les quatre types purs d’autorité que nous venons de présenter brièvement fonctionnent tous selon un principe commun, et ce malgré leurs nombreuses et notables différences. L’autorité se fait toujours « au nom de » quelque chose et c’est selon nous la raison pour laquelle on ne saurait dissocier ces quatre principes du système philosophique nous proposons de l’identifier désormais à l’Autre avec un grand A, à qui ces systèmes philosophiques supposent un savoir vérace et éternel. Dans le cas de Platon ou de la scolastique, cet Autre est très clairement évidemment transcendant tandis qu’il n’apparaît pas sous une forme transcendante dans les philosophies aristotélicienne ou hégélienne. Cette évidence de la forme tient selon nous à la nature imaginaire de notre conception de la transcendance. Car la transcendance platonicienne ou scolastique et l’immanence aristotélicienne ou hégélienne participent d’une même imaginarité. Comment repérer et définir cette imaginarité ? Dans les quatre cas, il s’agit toujours d’assurer au savoir la possibilité d’énoncer le vrai sur le réel. Or c’est exactement là que se trouve le point d’Imaginaire : là où l’on identifie vérité et savoir. Qu’elle soit immanente ou transcendante, la vérité est irréductiblement à découvrir, dans le champ de l’Autre que je suppose détenir ce savoir. Cet Autre peut être « le monde des Essences », Dieu, la logique, ou le savoir absolu de l’Esprit, il est toujours un sujet à qui l’on suppose un savoir.
Or « ce savoir absolu lui-même, nous dit Lacan, (…) prend une valeur singulièrement réfutable, mais seulement en ceci aujourd’hui, arrêtons-nous à poser cette motion de défiance, d’attribuer ce supposé savoir à qui que ce soit, ni à supposer, (…)aucun sujet au savoir. Le savoir est intersubjectif, ce qui ne veut pas dire qu’il est le savoir de tous, ni qu’il est le savoir de l’Autre, avec un grand A. (…) l’Autre n’est pas un sujet, c’est un lieu auquel on s’efforce (…) de transférer le savoir du sujet. (…) mais cela ne veut absolument pas dire que le sujet en sache un pépin de plus sur ce de quoi il retourne. Il n’a, si je puis dire, d’émoi qu’en fonction d’une supposition indue, à savoir que l’Autre sache, qu’il y ait un savoir absolu, mais l’Autre en sait encore moins que lui, pour la bonne raison justement qu’il n’est pas un sujet.
L’Autre est le dépotoir des représentants représentatifs de cette supposition de savoir, et c’est ceci que nous appelons l’inconscient pour autant que le sujet s’est perdu lui-même dans cette supposition de savoir. Il entraîne ça à son insu. Ça, ce sont les débris qui lui reviennent de ce que pâtit sa réalité dans cette chose, débris plus ou moins méconnaissables. Il les voit revenir, il peut dire, ou non dire: « c’est bien cela », ou bien: « ce n’est pas cela du tout », c’est tout à fait ça tout de même. »[16]
A présent, nous pouvons peut-être prétendre avancer dans l’une de nos préoccupations initiales qui concernaient la perte de transcendance comme question philosophique et politique. Si la véritable transcendance n’est pas imaginaire mais symbolique, autrement dit si l’on peut en effet pointer du doigt l’origine de la transcendance dans la barre qui résiste à la signification, comment comprendrons-nous la structure topologique d’un des deux exemples cités par B. Sichère au sujet de la souveraineté de l’Etat dans son rapport à l’immanence, à savoir la philosophie politique de L. Althusser ?
2.2 Le Parti et le travail de la langue
Dans Le Moment lacanien, Bernard Sichère revient sur trente ans d’histoire contemporaine ; il revisite, en philosophe, trois décades extra-ordinaires d’histoire politique et de pensée françaises (des années 1950 aux années 1970) en décrivant les liens génétiques, philosophiques et symboliques que certains évènements politiques majeurs de cette période ainsi que différents courants de pensée qui y ont vu le jour ont pu entretenir avec l’évènement Lacan.
L’analyse philosophique que fait l’auteur de cette période donne lieu à une définition de l’Histoire très lacanisante : « Ce qui se joue dans les sursauts de l’histoire concerne bel et bien la dimension de ce que nous appelons avec Freud et Lacan, le sujet. » Cette dimension du sujet, nous en parlons depuis le début, va nous apparaître ici dans des relations et des procès fort intéressants pour nous qui voulons avancer un petit peu dans la question de la transcendance et de la souveraineté. B. Sichère parle au sujet du rapport entre sujet de l’inconscient et histoire d’un « point d’intersection : là où l’intervention lacanienne s’articule à la scène inconsciente de l’histoire, où, disant la vérité de l’inconscient, Lacan dit aussi, en partie sans le savoir, l’inconscient de ce moment historique qui le rend possible. Situation de cette intervention sur la scène de l’histoire, analyse de cette scène à partir de cette intervention. Ce n’est pas exactement un cercle, c’est l’effectivité d’un aller et retour incessant, interminable, unendliche, sans point dernier de savoir. » Cette « fin de non savoir », sans doute l’aurez-vous reconnue, c’est déjà d’elle qu’il s’agissait quand nous parlions du statut de l’universalité du signifiant dans l’histoire de la métaphysique. Il n’y a pas de savoir absolu, ce qui signifie que la vérité n’est pas toute à découvrir. De cette opposition du savoir et de la vérité il est de nouveau question dans l’idée que propose B. Sichère des « sursauts de l’histoire », de ce qui fait l’écriture de l’histoire. L’Histoire ne saurait donc correspondre à l’advenue de l’Esprit hégélien comme tel. L’absoluité du savoir sous-tendant le principe de l’Esprit hégélien est contraire à cette « fin de non savoir ». Ni dernier mot donc, ni solution ultime.
Cette conception lacanisante de l’histoire se supporte d’une théorie du sujet de l’inconscient comme effet du langage. Et c’est précisément du statut de ce sujet dans la pensée de celui qui fut sans doute le plus éminent auteur philosophe du PCF, L. Althusser, qu’il va être question à présent en tant que c’est là, dans la négation de la dimension subjective, que trouve son principe la perversion de cette pensée. En revenant sur la philosophie althussérienne, B. Sichère évoque les deux pendants pervers de l’éthique de la révolte :
« Deux perversions inverses et symétriques, qui ne s’avouent pas comme telles : il y a l’éthique de la maîtrise (sous sa forme achevée : le Maître marxiste) et il y a l’éthique de la contestation systématique ou de la marginalité. »
La perversion qui nous intéresse, celle qui touche à la maîtrise, nous ne parlons que d’elle depuis le début, sans la nommer. En effet, ce discours de la métaphysique dont nous disons qu’il identifie savoir et vérité, Lacan le nomme « discours du maître ». La ligne générale de la structuration discursive propre à la philosophie althussérienne se présente, selon B. Sichère, comme « l’aveu d’une dimension subjective qui manque par principe au discours marxiste, [puis l’] effacement de cet aveu dans une opération perverse qui permet de d’intégrer cette parole excédentaire, trop éloquente, au discours du Maître. » Nous allons essayer de comprendre comment s’articule, ce que signifie ce rapport pervers du maître au sujet.
La perversion de ce rapport trouve son principe en ceci que la dimension subjective dans son rapport génétique à la Loi, c’est-à-dire dans sa division fondamentale, vient à manquer. B. Sichère : « Il y a bien, à lire Althusser, un inconscient qui nous fait parler, une autre scène, mais cette scène est identique aux rapports de classe, lieu de l’Autre et lieu du vrai : voici le fond de ce postulat de maîtrise. » Le grand Autre ici se supporte donc bien ici aussi d’une transcendance. Mais cette transcendance, cette coupure ne ressortit pas d’un dire inconscient au sein duquel se trouve le manque ; c’est identifié aux « rapports de classes » comme lieu du code que la transcendance de l’Autre structure cette autorité. Et c’est précisément le rapport qu’établit Althusser entre le sujet et le Parti qui va nous intéresser ici.
En effet, c’est du statut du sujet comme désirant et du désir comme se jouant dans la dialectique de la Loi transcendantale et de la parole subjective qu’il s’agit. En effet, dans la version althussérienne du marxisme : « Un communiste parle « ouvrier », il ne parle pas « brillant » (…) » Il existe sous la plume d’Althusser un code « ouvrier » que nous identifierons ici non seulement à un lexique fini, c’est-à-dire bordé, délimité par le champ du signifié défini par le Parti comme transcendant, mais également à une structure langagière pour autant que le rapport du sujet au grand Autre s’y articule d’une façon singulière. Dans cette finitude du champ du signifié défini par le Parti, nous voyons la négation de la division du sujet, autrement dit de sa contingence.
C’est le sens de la phrase de B. Sichère : « Il y a bien, à lire Althusser, un inconscient qui nous fait parler, une autre scène, mais cette scène est identique aux rapports de classe, lieu de l’Autre et lieu du vrai : voici le fond de ce postulat de maîtrise. » Si le discours inconscient est identique aux rapports de classe, ce sont les termes dans lesquels se pose la question de l’intersubjectivité qui se trouvent transformés.
La topologie intersubjective se joue normalement dans une forme de transcendance du Symbolique sur l’Imaginaire, une tension qui s‘institue dans un au-delà du petit autre (l’interlocuteur) comme figure du grand Autre. Il y a toujours un Autre au-delà de l’autre, c’est-à-dire une transcendance symbolique au-delà de l’illusion imaginaire fantasmatique. De cet Autre, on dit que le sujet reçoit son propre message sous une forme inversée. Or si à première vue une transcendance se joue bien dans les rapports de classe en tant que tension référentielle, code structurant comme tel, cette transcendance ne se joue pas dans le registre proprement transcendant de la Loi. La transcendance de l’Autre identifié aux rapports de classes n’est pas plus symbolique que les autres conceptions philosophiques de l’autorité que nous avons examinées. Elle se fonde du même caractère imaginaire.
La Loi est dite transcendante pour autant qu’elle figure un « au-delà » nécessaire par principe. En tant que tel le registre transcendant de la Loi tel qu’il s’articule dans la pensée lacanienne permet de rapprocher logique propositionnelle et logique modale en donnant lieu par là même à une critique de l’universelle affirmative « A ». En effet, la nécessité de la Loi se fonde dans on lien la castration. L’interdit de l’inceste (que Lacan note « Fx ») est nécessaire, c’est-à-dire qu’il s’inscrit dans la structure. Or il arrive, comme c’est le cas dans la psychose, que l’opération de la castration (ce que nous avons appelé en première partie la « métaphore paternelle ») soit forclose. Il s’avère donc que cette Loi nécessaire et première se supporte comme telle d’une modalité particulière où le nécessaire ne s’identifie pas à l’universel. Même s’il est nécessaire que tous soient soumis à la castration, même s’il est nécessaire, donc, que chaque sujet réponde à la fonction formelle fx Fx, il est impossible que tous y soient soumis. On ne peut donc pas écrire Ax Fx en vertu de quoi « tout x répond à la fonction phi de x », mais seulement “x Fx, qui se lit « pas tout x répond à la fonction phi de x ». Telle est la modalité de la Loi comme cause de la transcendance symbolique.
Or si nous reprenons maintenant l’exemple althussérien de l’Autre identifié aux rapports de classes, que comprenons-nous ? La nature structurante d’un tel Autre se structure différemment du registre symbolique de la Loi. L’identification de l’Autre et des rapports de classes se supporte bien du statut de « lieu du code » mais si l’on peut bien en effet parler de « consistance » au sujet de ce code, le champ qu’il recouvre est celui du signifié et non celui du signifiant. Autrement dit, ce code structure l’ensemble du signifié du « parler ouvrier ». Ce en quoi on s’aperçoit du caractère encore une fois imaginaire de cette consistance. Non seulement cette imaginarité limite l’ensemble du signifié au « parler ouvrier » mais par la même occasion nie la division subjective en tantqu’effet du symbolique. Aussi peut-on dire que cette consistance se supporte d’une conception imaginaire de sa propre globalité mais ne trouve pas son principe dans « l’ex-sistence » d’un « moins-un », signifiant du manque dans l’Autre. L’Autre comme lieu du code identifié aux rapports de classes nie donc l’être du sujet dans sa division fondamentale. Voilà comment nous pouvons présenter les choses d’un point de vue topologique. L’Imaginaire tend à masquer le manque fondamental autour duquel se structure le Symbolique.
Mais cette négation a également des répercutions éthiques. Elle porte en effet incidemment sur le statut désirant du sujet, ce que nous appelons depuis le début sa « contingence ». Par là, cette négation implique qu’aucun travail de la langue n’est possible pour le sujet afin de soutenir ce qu’il en est de son désir. S’il est un moyen de voir quelque lien éthique entre métaphore et transcendance, ce lien est ici proprement forclos. Tout se passe en fait comme si la barre qui résiste à la signification était absente de la structure qui sous-tend le « parler ouvrier », comme si défilé du signifiant et défilé du signifié collaient l’un à l’autre, sans possibilité de faire jouer, justement, cette division fondamentale inhérente au Symbolique comme opération de langage, métaphore première qui fait advenir le sujet comme tel, désirant, afin de ne pas céder sur son désir. « Injonction qui s’en prend à la position même du sujet : l’injonction véritable n’est pas de bien penser et de corriger ses idées, mais de corriger son style, de parler mieux, de parler autre. Tuez votre style, renoncez-vous comme sujets, faites-vous la bouche impersonnelle du Parti. » Cédez sur votre désir : l’ordre éthique althussérien s’énonce à l’inverse de la conception analytique.
Ce sont deux éthiques qui s’opposent en un point fort précis qui est en réalité celui du symptôme. En imposant au sujet de tuer son style, c’est bien en effet de nier la dimension du symptôme qu’il s’agit. La « contingence » dont nous parlons ici à propos du désir du sujet, nous pouvons en dire à présent qu’elle est précisément la modalité du symptôme. Le symptôme, c’est la contingence même pour autant que c’est ce qui, un jour, tel un barrage qui se rompt, cesse de ne pas s’écrire. Il y a une vraie dimension actuelle de la contingence – cette actualité s’entend non seulement dans sa temporalité, on distingue clairement un avant et un après (« un jour, ça cesse de ne pas s’écrire ») mais également dans sa dimension d’acte. Le symptôme, c’est la contingence même, non seulement dans son actualité, mais également en tant que ça n’est pas nécessaire. Le symptôme, c’est ce qui, face à un problème, s’invente auprès d’un sujet dans l’établissement d’un compromis visant à préserver son désir.
Le symptôme apparaît toujours comme ce qui pose problème en tant que tel. Pas du tout ! Le symptôme, c’est une façon que trouve le moi de gérer, de réagir à un problème réel, c’est-à-dire quelque chose qui lui tombe dessus sans crier gare. Prenons un exemple que je connais bien pour avoir fait des recherches dans ce domaine : le cancer. Nombreuses sont les personnes qui, comme on dit, « tombent en dépression » consécutivement à l’annonce du diagnostique. La dépression sera une maladie des mots contiguë à la maladie du corps. Le sujet, comme effet du signifiant, vit essentiellement la maladie des mots et ne vit la maladie du corps que sous le registre de l’angoisse. Cette dépression sera le symptôme inventé par le malade pour gérer d’une façon toute singulière et personnelle, contingente donc, ce qui lui tombe sur le coin de la figure.
Pourquoi insister sur le caractère éminemment personnel, singulier, contingent avons-nous dit, du symptôme ? Pour mieux vous faire sentir la dimension inventive, proprement créatrice de ce dernier. Le symptôme, c’est ceci que j’invente et qui relève de l’impossible. De l’impossible en tant qu’il naît tel que je n’avais aucune raison de le faire. De l’impossible, en d’autres termes, en tant qu’aucun concept, aucune théorie ne peut venir le réduire à l’arraisonner. Nous employons le terme d’impossible non pas en tant que le symptôme serait « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » mais en opposition au royaume virtuellement infini des possibles. Le symptôme, c’est ce qui est impossible à prévoir ou à comprendre scientifiquement et à expliquer par des concepts. C’est pourquoi nous proposons que le symptôme soit reconnu comme « métaphore personnelle » pour reprendre l’expression de J.-P. Lalloz. « Métaphorique », le symptôme l’est bien en effet comme travail de la langue permis par la barre qui résiste à la signification. Ce que ceci peut avoir de « personnel » définit la nature de cette métaphore en tant que cette dernière se supporte d’une certaine éthique, celle du symptôme comme œuvre d’une « impossibilité à soi ». Cette éthique du symptôme en tant que la métaphore personnelle s’y fonde, il nous faut vous la présenter. Elle représente le résultat de notre voyage.
3) « L’aberration métaphorique » et la vérité du désir
La troisième et dernière partie de cet exposé doit nous permettre de poser les conditions topologiques de cette transcendance symbolique dans son lien avec la métaphore et le symptôme. Le lien que nous avons été amené à tisser entre les différents types purs d’autorité et leurs systèmes philosophiques respectifs, autrement entre métaphysique et éthique, nous le réinterrogerons à l’aune de cette conception symbolique – et non plus imaginaire – de la transcendance. Alors la métaphore nous apparaîtra dans sa relation étroite avec la transcendance et nous envisagerons mieux les enjeux qui sous-tendent notre hypothèse de départ.
Afin de mener à bien notre parcours, nous nous appuierons sur l’œuvre d’un philosophe, professeur à Lille, auteur d’Ethique et vérité, pour une psychanalyse du droit, et se nomme J.-P. Lalloz.
J.-P. Lalloz est un philosophe à part ; son expérience de la psychanalyse a profondément marqué et influencé sa pensée sans pour autant y laisser de trace explicitement psychanalytique. Son style n’est ni freudien, ni lacanien, ni autre. Il ne parle pas « Lacan », par exemple. Les catégories psychanalytiques et le vocabulaire technique y attenant sont quasi absents de son système. Pourtant, je serais tenté de dire que la pensée lallozienne est sans doute une de celles qui est le plus à l’écoute de l’expérience psychanalytique. Ses propres catégories tiennent compte des avancées théoriques, cliniques et éthiques de la psychanalyse. C’est pourquoi il nous a semblé aussi intéressant de nous appuyer sur cette pensée pour nous conduire.
La philosophie lallozienne est une éthique et ce système est à l’origine d’une nouvelle conception de l’autorité. Comme on a pu le constater auprès des quatre archétypes philosophiques de l’autorité, les questions de la métaphysique, de la morale ou de l’ontologie ne sont pas absentes de l’éthique. Mais l’éthique lallozienne se pense non en « rapport à » mais « en distinction » de ces catégories. En « distinction », avons-nous dit, et non pas à la « différence » de. Et c’est ainsi que nous entrons dans le système lallozien, par cette notion de « distinction ». Et c’est précisément dans le statut de cette distinction – statut que nous allons devoir définir – que nous trouverons les éléments pour poser les bases de la transcendance symbolique dont nous parlons depuis le départ.
3.1 L’opposition et la béance
J.-P. Lalloz : « L’idée générale est d’interroger la notion d’autorité selon une opposition qu’on peut radicaliser, à partir du domaine philosophique, en faisant remarquer qu’il comprend d’une part des textes de savoir et d’autre part des textes de vérité. Les seconds sont ceux qui comptent, mais ils n’importent pas parce qu’il n’y a pas de savoir philosophique portant sur des réalités qui seraient de mieux en mieux connues : il n’y a pas de progrès en philosophie – ce qui revient à dire que le modèle de la science ne vaut pas, en ce qui la concerne. Les « natures » dont chaque philosophe fait la théorie (par exemple Hegel fait la théorie de l’histoire, et ainsi de suite) ne sont pas la Nature dont la science assure une connaissance de plus en plus fine, puisque c’est le nom propre de l’auteur qui définit son objet (par exemple : l’histoire comme devenir soi de l’Esprit est de « nature » hégélienne) – de sorte que, sans le savoir (en quoi il s’agit bien de philosophie et non pas de métaphysique, bien que par ailleurs tout philosophe soit un métaphysicien) il n’y a que le nom qui compte. »[17]
Ce paragraphe d’introduction résume absolument tout ce dont il va s’agir d’explorer à présent. On y trouve les quelques oppositions fondamentales qui structurent l’éthique lallozienne sur laquelle se fonde cette nouvelle conception de l’autorité. L’opposition première porte sur savoir/vérité et est immédiatement associée à deux autres : compter/importer (le savoir peut importer autant que l’on voudra, la vérité, seule, compte) et vérité/réalité (ce qui compte en vérité, importe en réalité mais seulement par ailleurs). En fin de compte, on pourrait réduire ces deux dernières oppositions à celle de philosophie/métaphysique.
Le système lallozien, tel qu’il définit une éthique, se base principalement sur de telles oppositions. Par là, il fait implicitement émerger une brèche, une béance ; celle-ci se trouve toujours dans l’entre-deux de l’opposition. C’est de cette brèche qu’il sera question à présent. Nous allons donc commencer par vous la rendre sensible avant de vous en proposer une interprétation.
Par l’établissement de son éthique, J.-P. Lalloz procède à sa manière, et à la suite de Nietzsche et de Heidegger, à une critique de la métaphysique. Mais il le fait d’une façon très particulière. Il ne fait pas l’économie de la métaphysique ; Lalloz ne cherche à aucun moment à faire fi de la métaphysique au nom d’une idée plus pure de la philosophie débarrassée de cette sororalité embarrassante. En l’opposant à la philosophie, Lalloz établit une topologie de la métaphysique afin de comprendre comment elle s’articule. Il n’est pas question de partir pour une nouvelle chasse aux sorcières, cela a déjà été fait de nombreuses et continue de l’être. Lalloz les oppose d’une manière tout singulière.
Deux plans se déroulent de façon contiguë que sépare une béance. Ces deux plans, nous les retrouvons dans chaque opposition. Ce sont les deux plans que dessinent « vérité » et « réalité », « différence » et « distinction », mais aussi bien « importer » et « compter » ou « philosophie » et « métaphysique ». La nature de ces oppositions ne ressortit pas de la logique. Il ne s’agit pas de voir ici des paires d’oppositions classiques ; vérité et réalité ne s’opposent pas entre elles comme peuvent le faire les notions de grand et de petit, de chaud et de froid (qu’on les considère avec Platon dans leur acception transcendantale éternelle ou bien de façon phénoménologique) ou de quelque autre type de contraires. Les oppositions lalloziennes ne sont pas des contraires. Encore une fois, une béance en sépare les deux termes et cette béance ne participe justement pas des logiques classiques propositionnelles ou modales. C’est d’ailleurs le principe même de cette béance.
Les deux plans constitutifs de l’opposition sont peut-être même finalement moins intéressants que la béance les séparant. Pour la comprendre, nous allons reprendre l’idée du « par ailleurs » évoquée plus haut au sujet du symptôme comme création d’un sujet que nul autre n’aurait réalisée « à sa place ». « Par ailleurs » et « à sa place » bordent en effet exactement la béance dont nous parlons. Voyons comment.
L’idée qui sous-tend, dans la pensée lallozienne, cette notion du « par ailleurs » s’appuie sur une conception du sujet comme divisé. Cette conception s’énonce comme ceci : à la suite d’un évènement marquant, Lalloz postule que je ne suis désormaisplus le même tout en restant moi, en réalité, c’est-à-dire « par ailleurs ». Ce plan du « tout en restant moi », c’est le plan du « par ailleurs », celui de la réalité comme espace de la reconnaissance inter-moïque. Le « désormais autre » est « toujours », « en réalité », le « même », mais seulement « par ailleurs ». L’altérité que pose ce « par ailleurs » et sur laquelle s’appuie la « distinction » lallozienne se pense donc en extériorité à la réalité. La réalité n’enveloppe pas cette étrange altérité. Cette altérité, c’est la distinction, la distinction qu’il faut opposer à la différence. Car la réalité est incapable de distinction. « En réalité, il n’y a pas de distinction mais des différences. » En réalité, il n’y a que des différences relevant de cette métaphysique qui permet, par exemple, à la logique d’opposer le petit et le grand, c’est-à-dire de cette symétrie propre au registre symbolique du Logos. Autrement dit, l’altérité propre à la réalité, qu’elle soit pensée de façon immanente ou transcendante, est prise dans la nasse d’un semblant d’universel offert comme effet de langage. La distinction, elle, relève d’une autre forme d’altérité que définit la béance.
La division subjective sur laquelle s’appuie l’éthique lallozienne est à la fois identitaire (moi comme autre) et historique (moi comme désormais autre mais « par ailleurs » toujours le même). Mais l’identité du sujet ne ressortit pour autant d’aucune forme de « résultat ». Je ne suis pas réductible au résultat de mon histoire, je suis un sujet. Eh bien, la béance que nous souhaitons vous faire sentir trouve ici son principe.
L’historicité en question dans cette division subjective n’est pas une topologie où viennent s’articuler positivement causes et effets mais justement la tension même où identité et altérité – comme pôles du mouvement alternatif traditionnel de la pensée – se définissent dans un autre rapport au sujet supposé savoir. Expliquons nous.
La métaphysique comme histoire de la pensée de l’être participe d’une identification de l’Autre comme sujet supposé savoir – identification ayant pour corrélat une imaginarisation du réel. C’est ce que nous avons exposé lors de nos deux premières parties. Cela nous a permis de poser l’origine – historique et topologique – de la transcendance dans la barre qui résiste à la signification. Mais le rôle de cette barre dans la constitution historique de la notion de transcendance reste inconscient, oublié tantôt derrière la coupure d’un autre monde plus vrai que celui-ci, tantôt derrière l’universalité du Logos. Cela nous a conduit coextensivement à distinguer deux formes de transcendance. Voilà où nous sommes parvenus au terme de la deuxième partie. Or, n’apparaît-il pas à présent que ces deux types de transcendance, imaginaire et symbolique, ne s’opposent pas entre elles comme l’histoire de la philosophie peut opposer la transcendance à l’immanence ? L’opposition que nous posons entre ces deux formes de transcendance est en fait d’une nature topologique analogue aux oppositions lalloziennes, contrairement au couple transcendance/immanence qui s’oppose de façon logique et imaginaire. En tant que telle, cette première forme d’opposition repose donc essentiellement sur cette même « béance » qui nous occupe.
Quand J.-P. Lalloz dit que : « Rabattre la distinction sur la différence, c’est confondre le vrai et le réel. », il indique exactement la forclusion de cette béance. Mais comment ne pas rabattre la distinction sur la différence ? Comment, sans passer pour un fou, penser l’altérité en extériorité à la réalité ? La réalité (sensible et intelligible) ne suffirait pas à circonscrire le tout ? « Et certes, on se contredirait en posant que tout n’est pas tout, c’est-à-dire en affirmant qu’il y a quelque chose d’autre. » Il n’y a aucune raison de postuler que le tout n’est pas tout, autrement dit que le savoir ne peut pas être absolu ou bien encore que tout n’est pas explicable. Comme le dit Lalloz : « Il suffit d’y passer suffisamment de temps ». C’est à proprement parler une aberration que de penser une forme d’altérité qui ne serait pas en réalité. Eh bien, c’est précisément là que nous trouvons le principe de notre béance, de la même façon que c’est exactement là, en ce point d’aberration où la raison elle–même nous commande de reculer, que Lalloz pose le principe de son éthique. En d’autres termes, l’aberration fonde la béance dans laquelle l’éthique lallozienne trouve son principe.
3.2 « Il n’y a que le nom qui compte »
Reprenons le court paragraphe introductif issu du séminaire de J.-P. Lalloz en 2001-02 consacré à la question de l’autorité. Nous avons vu comment les différentes oppositions fondamentales se structurent dans l’éthique autour d’une béance particulière. A l’aune de ces quelques remarques, examinons maintenant comment Lalloz articule son autorité à partir de cette béance. Pourquoi n’y a-t-il que le nom qui compte ? Quel rapport cela entretient-il avec l’absence de progrès en philosophie ? L’objet de cette éthique est de définir les conditions phénoménologiques et topologiques de l’autorité, mais quelle place accorde-t-elle au bonheur ?
Si la béance par laquelle s’articulent l’éthique et l’autorité lalloziennes se fonde par l’aberration selon quoi « tout n’est pas tout » (et ne voyez là nulle syllepse mais bien plutôt l’envers d’une tautologie), comment se diriger et ainsi faire autorité ? La Raison et le savoir ne pourront à l’évidence pas être nos guides à travers cette quête et le système lallozien n’accorde aucune place au mythe ou à la transcendance. Là où se donne la distinction, cette Autre altérité, la Raison ne voit en effet que des différences réductibles par des concepts. Avec la raison et le savoir pour armes, le métaphysicien rabat la distinction sur la différence et confond par là même le vrai et le réel. Or si la raison ne nous garantit pas l’accès à la vérité et au Bien, autrement dit si la raison ne se trouve plus au centre de l’éthique, quel parcours cette dernière dessine-t-elle ?
« Là où la distinction est donnée, l’expérience (donc les estimations, les comparaisons) est impossible comme est impossible la déduction : il faut décider. » Cette notion de « décision » marque une grande étape de l’éthique lallozienne dans sa définition de l’autorité. Il faut décider de reconnaître l’autorité de quelqu’un sans avoir aucune raison de le faire. Il faut en « décider » alors que rien ne le justifie, rien ne le légitime. Je dois « décider » de reconnaître l’autorité là où à ma place, tous auraient jugé, pesé, comparé, c’est-à-dire « choisi » d’ignorer ce qui distingue ce qui compte (la division subjective : la mienne et celle de l’auteur) de ce qui importe (la morale, le service des biens, la logique etc.). Et ils auraient eu, à la lettre, les « meilleures raisons du monde » de faire ce choix. Tous les arguments étaient de leur côté. L’autorité participe par conséquent d’une décision éminemment personnelle trouvant son principe dans la refente du sujet.
Au contraire, le choix intervient là où la division subjective est niée. Cette négation se traduit par la cession de ce qui fait la « distinction » du sujet (ce qui reste de lui une fois l’oignon de son individualité historique défait), son impossible à dire, sa contingence. C’est ce que J.-P. Lalloz nomme « l’impossibilité à soi ». Nous comprenons ici à quel point la conception lallozienne de l’autorité, en fondant son éthique sur la contingence et non sur la maîtrise, s’oppose aux philosophies platonicienne, aristotélicienne, scolastique et hégélienne. Loin de se définir selon une éthique de maître, la conception lallozienne de l’autorité se fonde justement sur un champ inaccessible tant à la raison qu’à la conscience. Il ne s’agit donc ni de discipliner ses habitudes par la réalisation du souverain Bien dans la Raison ni de prendre conscience de l’avènement progressif de l’Esprit comme savoir absolu. En cela, l’autorité lallozienne ne répond pas aux mêmes critères d’immanentisme que les philosophies d’Aristote et de Hegel. Mais à l’inverse, cette autorité ne se pense pas en extériorité à la personne. Elle ne se légitime pas par l’existence d’une entité supérieure garantissant sa souveraineté. Elle ne se légitime pas du tout. En ce sens, on ne peut voir dans la philosophie lallozienne une référence à la transcendance. Ni immanente ni transcendante (du moins au sens traditionnel du mot), l’éthique lallozienne repose essentiellement sur une décision impossible, celle de ne pas céder sur sa propre distinction, c’est-à-dire sur sa propre contingence.
Et « Ne pas céder sur la distinction de ce qui compte et de ce qui importe (or quand on a retiré tout ce qui importe, il ne reste rien), c’est s’autoriser de soi (…). » S’autoriser de soi, voilà la formule de l’autorité lallozienne. De soi et non de quoi que ce soit d’autre. Je ne peux pas prétendre faire autorité si mon discours se fait « en tant que », c’est-à-dire « au nom de ». Là encore, Lalloz s’oppose aux anciens. A m’autoriser de la place que je peux occuper, d’un savoir que je possède, de ce que j’ai vu (éidos en grec signifie j’ai vu) – la Justice par exemple -, ou de quoi que ce soit d’autre que ma propre distinction, cette autorité appartient à ce dont je m’autorise et non à moi. C’est pourquoi Lalloz pose que fait autorité celui qui n’a pas cédé sur sa distinction. « L’autorité n’est finalement pas autre chose que la distinction, c’est-à-dire l’impossibilité à soi dont on appelle « respect » la prise en compte. »
Quand J.-P. Lalloz dit qu’ « il n’y a pas de progrès en philosophie », « qu’il n’y a pas de savoir philosophique portant sur des réalités qui seraient de mieux en mieux connues », enfin que « c’est le nom propre de l’auteur qui définit son objet », il ne dit rien d’autre que l’autorité de ces auteurs ne tient pas à la valeur de leurs découvertes, ou bien même à leur génie. A la limite, le seul génie dont ils puissent se targuer, selon Lalloz, serait de ne pas avoir cédé sur leur propre distinction. Autre façon de dire que « le savoir ne vaut que ce qu’il coûte ». L’autorité de leur pensée n’est pas inhérente à leur référentialité mais à la décision personnelle de leurs auteurs respectifs. C’est pourquoi l’histoire est de nature hégélienne, la morale de nature kantienne, le nihilisme de nature nietzschéenne etc. Si en effet, il n’y a que le nom qui compte, c’est que l’objet de ces philosophies, leurs découvertes proprement dites, importent autant que l’on voudra (« au nom » du savoir, de la science etc.) mais seul le nom de leur auteur en définit la nature. C’est pourquoi l’idée selon laquelle les philosophes se contredisent entre eux n’a aucun sens. Cette contradiction tient tant que l’on ne reconnaît d’autorité qu’aux découvertes et non à leurs auteurs ; autrement dit tant que l’on confond philosophie et science. Il n’y a pas de progrès en philosophie car il n’y a rien à découvrir mais tout à inventer. Les philosophes ont tout inventé et c’est bien la raison pour laquelle ils n’ont dit que la vérité et rien d’autre, ou bien seulement « par ailleurs ». « Les philosophes se contredisent ? Et alors… » comme titre J.-P. Lalloz. Ce n’est pas ce qui compte.
Et c’est ici que nous retrouvons la métaphore. La métaphore comme topologie aberrative de ces inventions. La métaphore comme fruit de la décision personnelle de l’auteur. Ici que nous allons enfin pouvoir mettre à jour le lien qu’entretient la métaphore avec la transcendance symbolique telle que nous l’avons distinguée.
3.3 La « métaphore personnelle »
Souvenez-vous, nous avons dit de la philosophie althussérienne qu’à nier le désir du sujet, elle abolit toute forme de travail de la langue et, incidemment, toute forme de résistance éthique. En liant ainsi le désir comme essence de la contingence et le travail de la langue à la question de la résistance, nous posons les éléments d’une topologie, celle de la « métaphore personnelle » comme support éthique de la transcendance distinguée. Cette topologie, il nous faut à présent la déployer afin d’en examiner les rouages.
Que l’autorité ressortisse clairement d’une question éthique, c’est ce dont nous avons pu nous apercevoir à étudier certaines des grandes conceptions philosophiques de cette notion. Mais à examiner de près le système lallozien, on s’aperçoit que ce lien entre autorité et éthique peut prendre des visages fort différents. Ainsi, l’autorité lallozienne s’inscrit en opposition complète aux autres conceptions. Fait autorité non pas celui qui est juste, savant, maître ou bien héritier de l’autorité divine, mais celui qui est vraiment lui, dans toute sa complexité, toute son impossibilité. Sans se laisser réduire ni à son histoire ni à ses attributs, sa vérité est subjective et trouve son principe dans sa propre division. Après Hegel, Lalloz reprend donc la question de l’autorité en la liant au phénomène identitaire mais en un sens radicalement différent. La vérité du sujet se situe précisément dans les espaces de débordement, là où l’on ne se reconnaît pas, là où « ça cloche ». Dans ces moments où je ne suis plus tout à fait moi, tout en le restant par ailleurs, incontestablement. Ces moments sont autant d’épreuves qui posent la question de « qui je suis ».
Cette interrogation du « qui », il faut l’opposer à la question de
« ce que je suis ». Je suis homme, français, fils de, frère de, ami de, étudiant… On est tous plein de choses. C’est ce qui constitue les couches de l’oignon. En réalité je peux m’énumérer ainsi de façon exhaustive si je prends assez de temps. J’aurai répondu à la question « que suis-je » ? Mais la question « qui suis-je » aura été laissée intacte. Ces moments limites, ces aberrations, ce que je fais sans raison, les formations de mon inconscient par exemple, le délire, interrogent mon identité de façon pressante et fondamentale. Mais leur mode d’interrogation n’est pas celui de la nécessité à soi (« que suis-je » ? je suis ce que n’importe qui serait à ma place s’il avait vécu la même histoire que moi, s’il avait lu les mêmes livres que moi etc.) mais celui de l’impossibilité à soi. C’est la dimension propre du sujet qui manque alors.
Seuls les auteurs font autorité. Mais alors comment s’articule le devenir auteur ? « Le passage du sujet éthique à l’auteur peut s’opérer, (…) [nous dit Lalloz] au moyen d’une substitution dont il faudra (…) nommer « métaphore » le principe. Je crois qu’il faut opposer les raisons qu’on a (quand elles ne comptent pas, on parlera du sujet éthique : le sujet de la décision par opposition au sujet du choix) à la raison qu’on est. En fait, mon idée est qu’en cette substitution, dont la raison est le sujet, se trouve le secret de la « métaphore personnelle » – c’est-à-dire tout simplement de la réponse réelle à l’interrogation que chacun est pour lui-même, telle qu’on peut la réfléchir en demandant à chaque fois aux choses qu’on a produites sans y être qu’elles nous disent non pas ce que nous sommes mais bien qui nous sommes. »
Le devenir auteur est la réponse apportée à la question que l’on est pour soi-même. Cette question porte sur la promesse de celui que je suis appelé à être. Celui que je suis appelé à être, c’est-à-dire celui que je suis en vérité, n’advient pas historiquement au sens où l’histoire participe du devenir soi de l’Esprit hégélien. L’on ne devient pas transitivement auteur. Quelqu’un décide, envers et contre tout, de reconnaître l’autorité d’un autre et seule cette reconnaissance institue cette autorité comme telle. Le devenir auteur se fait donc en absence à soi, c’est-à-dire en impossibilité à soi.
Le devenir auteur est un procès structuré métaphoriquement pour autant qu’il participe d’une substitution. Il s’agit là d’une substitution analogue à celle que nous avons rencontrée lorsque nous exposions le schéma topologique de la métaphore au début de notre intervention. Nous disions alors que la métaphore se structurait de la substitution d’un signifiant par un autre signifiant. C’est précisément en cela que le devenir auteur est une métaphore car c’est à partir du lieu de ma propre impossibilité que s’énonce mon désir comme essence même de ma contingence.
Ce que confirme J.-P. Lalloz en disant : « Si j’ai raison de dire que l’impératif de l’exactitude a comme sens originel l’interdiction de l’acte subjectif (à la limite cet acte peut être un mensonge ou une erreur, comme dans le cas d’une citation inexacte), et si c’est à la métaphore qu’il faut finalement rapporter cette notion d’acte subjectif, alors j’ai raison de trouver dans cet impératif une éthique de la « médiocrité », si l’on m’accorde de définir cette dernière contre la métaphore personnelle autrement dit comme trahison de la promesse qu’on était de répondre à la question que l’humain est pour lui-même par une métaphore inouïe. » L’éthique de la distinction comme réponse d’un sujet à la promesse de son être fondamentalement divisé s’énonce aussi « dignité » et s’oppose comme telle à l’éthique de la « médiocrité » trouvant son principe dans une négation de la division ontologique du sujet que l’on appellera autrement sa contingence.
Nier ainsi le désir comme dimension essentielle du sujet, comme on peut le voir dans la philosophie althussérienne interdit donc dans une perspective lallozienne d’être vraiment soi, ce qui revient à forclore toute forme d’autorité. On reconnaîtra dès lors dans cette négation une forme de « l’éthique de la médiocrité ». On s’aperçoit consécutivement que l’absence de la barre qui résiste à la signification, comme c’est le cas dans le « parler ouvrier », à empêcher toute forme de métaphorisation du discours, révèle la vérité de l’autorité comme question éthique. Cette vérité est celle d’une division ; division subjective, refente du sujet par l’ordre du langage. Cette division se met à jour selon une topologie de la « béance » opposant la contingence d’un sujet désirant et son individualité imaginaire faite de toutes ses identifications successives.
Or que nous apporte cette béance hormis la compréhension de l’autorité lallozienne, c’est-à-dire dans notre problématique ? La béance s’est présentée à nous comme support topologique de la refente du sujet ; en tant que telle elle est le principe même d’une « impossibilité à soi » à la mesure de laquelle se juge la « dignité » du sujet. Cette impossibilité est la modalité selon laquelle se jouent à la fois la question identitaire pour le sujet et le discours qu’il prononcera depuis cette impossibilité. Ce discours, « distingué » et propre à cette éthique de la dignité, à s’articuler précisément autour de ce noyau central qu’est la béance, ne peut se structurer que métaphoriquement. Mais ce discours ne fera autorité que sur celui qui décidera de ne pas céder sur sa propre contingence et donc de ne pas réduire scientifiquement cette métaphore selon des concepts ; concepts auxquels elle peut en effet se réduire mais seulement « par ailleurs ». « L’autorité tient à ce que la métaphore soit aberrante, et surtout pas à ce qu’elle enseigne quelque chose. En effet, un ersatz de concept n’est qu’une impuissance (on tournerait autour de la signification qu’on veut exprimer par incapacité de trouver le bon concept) alors que la métaphore est une impossibilité. Et l’aberration littérale du signifié métaphorique n’est rien d’autre que l’impossibilité pour la vérité qu’elle relève jamais de l’horizon mondain, si l’on nomme “monde” l’ordre du compréhensible, c’est-à-dire plus simplement l’horizon du signifié. » (Lalloz)
Un lien existe donc autour duquel s’articulent béance et métaphore. Or quelle béance structure la métaphore comme telle ? Cette béance n’est autre que le substrat de la « barre qui résiste à la signification » que nous exposions au départ. Celle-ci joue donc un rôle non seulement dans l’histoire de la transcendance en tant qu’elle fonde ce que nous avons distingué ici comme « transcendance symbolique », mais également et coextensivement dans cette conception nouvelle de l’autorité ressortissant d’une éthique de la distinction. La conception qui ressortit de l’éthique lallozienne de la dignité participe donc d’une transcendance, mais dans un sens radicalement différent des conceptions platonicienne et scolastique ; cette transcendance, nous le répétons ici encore, est non pas imaginaire mais symbolique. Une transcendance immanente en quelque sorte, mais cette immanence est de structure, inhérent à l’ordre langagier comme tel. Nous répondons donc finalement par l’affirmative à notre question initiale. Non seulement nous devons poser l’origine symbolique de la transcendance dans la « barre qui résiste à la signification » mais cette transcendance symbolique se retrouve dans la question de l’autorité en tant qu’elle fonde le principe d’un point éthique essentiel qui est celui de la distinction. Il est temps de conclure.
CONCLUSION
Comment peut-on penser l’autorité d’un Etat coupé(e) de toute transcendance ? Voilà la porte par laquelle nous sommes entré dans notre sujet. A le faire travailler, nous en avons extirpé une problématique : « Peut-on pointer du doigt l’origine de la transcendance dans la barre qui résiste à la signification ? » Telle fut notre hypothèse de départ et nous y avons répondu par l’affirmative. Mais nous avons découvert chemin faisant les ramifications sémantiques, topologiques et éthiques de cette interrogation. Laissez-moi vous les rappeler très brièvement.
A l’origine de la notion de transcendance se trouve un désir. Le désir d’un philosophe nommé Platon qui a inventé un système de pensée, une philosophie, sans jamais céder sur un principe irréductible : la Raison. Afin de garantir à la parole philosophique la possibilité de dire le vrai sur le monde, l’être et le bien, la métaphysique platonicienne a créé le concept de « transcendance ». Cette transcendance se présente chez Platon sous la forme d’une dualité des mondes. On trouve ainsi dans la pensée platonicienne l’image d’une dualité du sensible et de l’intelligible structurant cette transcendance.
Or, il s’avère que la tension autour de laquelle l’image de ces deux mondes s’articule est inhérente à la structure du langage lui-même. Cette tension, nous la trouvons dans la division fondamentale du sujet par l’ordre du signifiant. Cette division est coextensive de la logique dite du signifiant ; logique selon laquelle un signifiant ne représente pas quelque chose pour quelqu’un, comme c’est le cas du signe, mais représente le sujet auprès d’un autre signifiant. Le signifiant ne signifie rien en tant que tel et ne se définit qu’en opposition à tous les autres. Quelque chose résiste donc à la signification qui est inhérent à la logique symbolique du langage. Et la transcendance platonicienne en est une image, une traduction imaginaire. En fait, la notion de « transcendance » telle qu’elle a pu être définie à travers l’histoire de la métaphysique participe tout entière d’un même imaginaire. Nous ne disons pas ici de cette dernière qu’elle est fausse ou ne serait-ce qu’inexacte. En la qualifiant d’imaginaire, nous prétendons simplement mettre à jour sa topologie. L’imaginaire tend à masquer le manque fondamental autour duquel se structure le symbolique.
Nous devons donc distinguer deux transcendances. La première est issue de l’histoire de la métaphysique, elle est imaginaire. La seconde se dévoile lorsque l’on examine la première à l’aune d’un certain structuralisme. On peut dire d’elle qu’elle structure l’origine de la notion métaphysique de « transcendance ». Cette transcendance est inhérente au langage lui-même. En tant que telle, elle est nécessaire et immanente. Comme telle, la transcendance symbolique ne s’oppose donc plus à l’immanence comme cela peut être le cas dans la tradition philosophique. Au contraire elle révèle le caractère imaginaire d’une telle opposition en nous faisant remarquer comment une même imaginarité fonde l’origine de la métaphysique tant platonicienne (objectivement transcendantale) qu’aristotélicienne (objectivement immanentiste).
Dès lors, la transcendance autour de laquelle s’articule dans le domaine de l’éthique la notion de l’autorité devait être reposée. Nous devions établir la topologie de cette notion afin de pouvoir penser l’autorité d’un Etat coupé(e) de toute transcendance. Nous avons alors découvert à travers ce qu’A. Kojève a pu nommer les quatre types purs d’autorité comment l’histoire philosophique de cette notion (qui naît donc selon Kojève avec Platon et va jusque Hegel en passant par Aristote et la Scolastique) a pu se penser en rapport à la transcendance mais également combien elle a pu participer d’une conception imaginaire de la transcendance analogue à celle de la métaphysique. Les quatre conceptions de l’autorité présentées par A. Kojève achoppent toutes sur le même point : la contingence comme modalité du désir subjectif, le désir comme « impossibilité à soi » du sujet, l’« impossibilité à soi » comme pendant éthique de la transcendance symbolique.
En posant que « L’ouvrier ne parle brillant, il parle ouvrier. », la version althussérienne du marxisme se base sur une telle négation du désir du sujet et exemplifie par là même une déviance perverse de l’autorité immanentiste. Cette négation du statut désirant du sujet s’accompagne d’une délimitation du champ du signifié que ne relève aucune transcendance symbolique. Pas de barre résistant à la signification qui permette un travail de la langue.
La métaphorisation du discours met ainsi à jour le lien de la transcendance symbolique et de l’éthique de la résistance. Seule la « métaphore personnelle » comme dire d’un sujet refusant de céder sur sa propre contingence peut fonder l’autorité de celui qui ne s’autorise que de lui-même. Or ce mode énonciatif trouve son principe précisément dans une conception symbolique de la transcendance fondée sur la logique du signifiant.
Le lien entre métaphore et transcendance apparaît dès lors clairement. La métaphore comme transcendance symbolique permet seule le travail de la langue qui fonde l’éthique de « l’impossibilité à soi ». L’origine de la transcendance est symbolique et inhérente au langage. La métaphore trouve son principe dans une barre qui, de séparer les défilés du signifiant et du signifié, résiste à la signification et assure par là même une transcendance indispensable à la définition de l’autorité.
La « perte de transcendance » dont nous parlions au début de cette intervention ne peut dès lors concerner qu’une conception imaginaire de celle-ci dernière puisque l’origine de la transcendance est en fait symbolique et inhérente au langage. Seule une éthique perverse de la maîtrise, à coller défilés du signifiant et du signifié, c’est-à-dire à nier la barre qui résiste à la signification, peut perdre cette forme irréductible de transcendance en abolissant tout travail de la langue.
[1] Cf. J. Lacan, in Ecrits, « L’instance de la lettre dans l’inconscient », Paris, 1966
[2] Cf. J. Lacan, in Le séminaire, livre 9, « L’Identification », 1962
[3] Cf. J. Lacan, Le Séminaire, livre 4, « La Relation d’objet », Paris, Le Seuil,
[4] Cf. J. Lacan, in Ecrits, « Le Séminaire sur La lettre volée », Paris, Seuil, 1966
[5] Cf. Pierre-Gilles Guéguen, « L’argument de l’erreur de Platon », in Ornicar
[6] Cf. A. Kojève, La Notion de l’autorité, Paris, Bibliothèque des Idées, NRF, Gallimard, 2004, p. 50
[7] Cf. A. Kojève, La Notion de l’autorité, Paris, Bibliothèque des Idées, NRF, Gallimard, 2004, p.77
[8] Cf. M. Crubellier, P. Pellegrin, Aristote, Le Philosophe et les savoirs, Paris, Seuil, Essais, 2002, p.189
[9] Cf. A. Kojève, La Notion de l’autorité, Paris, Bibliothèque des Idées, NRF, Gallimard, 2004, p.73
[10] Cf. Ibid., p. 193
[11] Ibid., p. 195
[12] Cf. J. Lacan, Le séminaire, Livre 6, Le Désir et son interprétation, inédit
[13] Cf. A. Kojève, La Notion de l’autorité, Paris, Bibliothèque des Idées, NRF, Gallimard, 2004, p. 71
[14] Cf. Dictionnaire des philosophes, Encyclopaedia universalis, Albin Michel. Paris, 2001, p. 683
[15] Cf. Ibid., pp. 683-4
[16] Cf. J. Lacan, Le Séminaire 9, L’Identification, (Leçon du 15 novembre 1961), inédit
[17] Cf. J.-P. Lalloz, Dits 2001-02, Cours du 19/10/01, www.philosophie-en-ligne.com