la sincérité comme reconnaissance du mensonge réflexif. Sincérité et nécessité transcendantale. Identité totale ou altérité partielle. Le moment de la sincérité : la promesse comme constitution-destitution transcendantale. La sincérité comme reconnaissance de l’étrangeté métaphorique.

Aujourd’hui, je voudrais l’approcher du terme de notre analyse de la notion de sincérité en réfléchissant sur la temporalité de la première personne. Si la sincérité est bien la disposition subjective de la première personne étonnée d’être telle, c’est-à-dire si elle est bien l’antériorité de la philosophie à elle-même,alors son analyse comprendra nécessairement une explicitation du rapport à la seconde et à la troisième personne, qui ne sont telles que par la première comme celles-ci n’est telle que par elles (dans la rencontre, dans la représentation), et il s’agira de cerner l’étonnement dont la mauvaise foi est le refus. Ainsi nous reviendrons à la dimension de subjectivité dont nous étions partis et, au-delà d’une problématique de l’acte qui nous a libérés de la croyance en un nature exclusivement subjective de la sincérité, revenir à l’étonnement proprement philosophique. Ma thèse est de dire que cet étonnement est celui de la première personne en tant que telle.

Revenons donc à la dimension subjective dont nous étions partis, et essayons de comprendre l’étonnement d’être soi – soi non pas comme ” moi ” mais comme personne, celle pour laquelle il y a la réalité des choses, la rencontre de la seconde personne et la représentation de la troisième.

Cet étonnement, je crois qu’il renvoie expressément à celui qui est traditionnellement rapporté à la philosophie : étonnement devant l’existence et la vérité, devant leur évidence et leur caractère indéfiniment problématique (la mauvaise foi consiste d’abord à poser que l’existence et la vérité vont de soi, pour s’installer dans le projet préréflexif de les manipuler en termes de facticité et de transcendance).

Le cadre étant posé, je voudrais commencer par souligner la paradoxe de l’étonnement d’être soi, qui est lié à la question de la temporalité. Si je suis étonné d’être moi, cela signifie que je peux absolument pas m’identifier à celui que j’ai conscience d’être – à savoir le sujet de la réflexion. Pour moi en effet, je suis un pur sujet indifférent, puisque je fais et je pense à chaque instant ce que n’importe qui à ma place ferait ou penserait. Mais cette conscience d’être soi est intrinsèquement faite de temporalité, puisqu’elle consiste d’abord en cette ” présence à soi ” dont Sartre fait le trait essentiel de la conscience. Il est impossible que je sois conscient sans avoir implicitement conscience de l’être, c’est-à-dire sans inscrire mon rapport à moi-même, précisément comme rapport et non pas comme identité, dans la dimension de la présence. Si vous m’avez accordé de définir la sincérité comme antériorité de la philosophie à elle-même et donc, subjectivement, comme l’étonnement d’être soi (non pas soi concret mais soi en première personne) vous m’accordez nécessairement que cet étonnement est une rupture par rapport à cette nécessité pourtant structurale de la réflexion. Si je suis étonné d’être moi, cela signifie que je ne suis pas ma propre présence à moi-même – bien que par ailleurs je sois évidemment présent à moi-même.

” En vérité “, ” par ailleurs “. Vous reconnaissez notre problématique familière de cette année, celle de la marque (” je suis désormais quelqu’un d’autre, mais par ailleurs c’est toujours moi “). Cela signifie que je suis sincère seulement là où je suis marqué : là où je suis sensible, par conséquent, et non pas là où je réfléchis aussi honnêtement que je peux. La sensibilité est sincère, comme la réflexion est mensongère : non pas d’une manière représentative, mais antérieurement à toute possibilité de réflexion qui devra, pour s’actualiser, dénier ce qui aura été d’abord éprouvé.

La sensibilité s’oppose à la réflexion comme la vérité originelle s’oppose à la représentation universelle qui devra la dénier. Nous avons vu que le déplacement de la réflexion, lié à la considération de la mort comme locale et non plus comme totale, installait la sincérité dans l’ordre de la sensibilité alors qu’on aurait imaginé, avec les philosophes idéalistes, qu’elle renvoyait seulement à la conscience. Là où je suis ” sensibilisé “, je suis sincère – partout ailleurs, c’est-à-dire simplement dans l’expérience qui est celle que quiconque aurait à ma place, je suis de mauvaise foi. Mais nous revenons bien à l’extériorité subjective en reconnaissant que là où je suis marqué, je ne suis pas, puisque la marque est toujours marque de mort, si la marque est le reste de l’épreuve et si la réalité de l’épreuve est qu’on n’en revienne pas.

Certes, il est subjectivement impossible de se situer là où l’on est marqué, puisque c’est là qu’on est mort. Mort non pas comme insensible, mais mort comme sujet de l’expérience et donc de la semblance potentiellement universelle (la notion d’expérience implique en elle celle du sujet universel). On demandera alors s’il est possible d’être subjectivement sincère ou si nous sommes condamnés à faire de cette notion une nécessité structurale. A quoi je répondrai que la sincérité subjective consiste désormais à reconnaître le caractère mensonger de la réflexion, et donc, pour la question de la temporalité, de l’irrécusable présence à soi. Dans son sens subjectif, dès lors que la sincérité est renvoyée à la sensibilité et non pas à la réflexion, elle devient la conscience d’une fausseté temporelle… Le privilège du présent comme détermination ontologique originelle apparaît ainsi comme la modalité expresse de cette nouvelle forme de mauvaise foi.

Rien là que de très banal : on ne peut privilégier le présent qu’à s’identifier à la présence à soi de sa propre conscience, laquelle est elle-même définie d’emblée par la réflexion (réflexion non thétique). Mais le propre de la réflexion est d'” oublier ” d’être radicale : je ne puis réfléchir qu’à ne pas réfléchir sur le fait que je suis en train de réfléchir ou, si je prends conscience de ce paradoxe, qu’à m’arrêter tout de suite dans l’exploration récurrente des niveaux réflexifs (je peux à la limite considérer deux voire trois ou même quatre niveaux, mais le cinquième restera impensé). Mettre en avant une vérité en ” oubliant ” ce qui la conditionne, c’est tout simplement la définition de la mauvaise foi – et c’est en ce premier sens que la réflexion m’apparaît de nature mensongère. La présence à soi est l’esquisse en quelque sorte structurale de ce mensonge. Je dis bien mensonge, parce que le sujet qui s’identifie à la conscience qu’il a de lui-même de peut que dénier les vérités sensibles qui se sont reconnues en lui.

C’est facile à comprendre. Qu’un spectacle dans la rue m’arrache des larmes, par exemple, et je puis alors reprendre cet état de fait pour le constituer comme une donnée en quelque sorte objective (un fait psychophysiologique). A partir de là, dirait le Sartre de l’Etre et le Néant, de deux choses l’une : ou bien je décide de nier axiologiquement ce qui s’est passé (un homme de mon âge ne doit pas pleurer, surtout dans la rue), ou bien je décide de me rendre passif devant ma propre émotion et je tombe alors dans ce que d’aucuns nomment la ” sensiblerie “. Dans les deux cas, il y a mensonge, puisque ma volonté est la vérité de la première hypothèse, ma complaisance celle de la seconde – alors que mes yeux ont vu par eux-mêmes que, dans un certain lieu du monde au moins, la vie était tout simplement insupportable. Donc quelle que soit la manière dont je vais m’identifier à la conscience de moi-même, de devrai ” oublier ” cet enseignement, dont la reconnaissance est pourtant infiniment plus essentielle à mon humanité que ma propre volonté ou ma propre complaisance. Rappelez-vous encore l’exemple de la réflexion morale que j’avais donné dans une séance précédente : l’avare qui s’est forcé à donner, et qui a souffert de voir son argent passer dans la poche d’un autre, doit être estimé beaucoup plus que le généreux qui donne spontanément. Or nous n’avons pour cette avare que l’idée d’une admiration (en fait, il nous fait horreur, malgré l’estime que nous essayons de nous convaincre d’avoir pour lui) et c’est le généreux, qui n’a aucun mérite du point de vue réflexif, que nous serions honorés d’avoir pour ami. Ainsi doit-on reconnaître qu’on n’accorde statut de la légitimité aux vérités représentatives qu’à récuser ce que nous ne cessons pas pour autant d’admettre au fond de nous…

Ce que je sais en tant que marqué ne compte pas en face de ce que je sais en tant que conscience réflexive. La marque s’oppose à la réflexion, comme la vérité s’oppose à la représentation.

Je traduirai cela en disant qu’on réfléchit nécessairement dans la trahison de soi. Cela signifie concrètement que la question de la vérité réflexive est en réalité celle d’une ” surréflexion ” : réfléchir sur les implications de la réflexion relativement à la question de la vérité.

Je ne nie pas pour autant que la notion de subjectivité soit impliquée dans celle de la sincérité. On peut maintenir cette exigence philosophique tout en intégrant la critique dont je viens de vous présenter les éléments en reconnaissant une sincérité subjective en quelque sorte cantonnée dans le négatif : être sincère, c’est reconnaître l’impossibilité d’être sincère et donc, comme cette reconnaissance elle-même ne l’est jamais vraiment, c’est admettre le caractère mensonger de la réflexion – cette admission n’étant jamais avérée une fois pour toutes. Je le dis d’une manière plus théorique : être sincère c’est reconnaître contre soi l’impossibilité que la représentation puisse définir la vérité. Je dis bien ” contre soi “, parce que nous ne pouvons pas ne pas entendre représentativement la notion de vérité, qui est expressément réflexive, et par conséquent nous être déjà installés dans la position représentative. Subjectivement donc, la sincérité est la réflexion jamais accomplie de l’impossibilité d’accomplir la réflexion. Le manque à soi s’oppose à la certitude de soi de celui qui, comme Rousseau, entend se montrer lui-même tel qu’il est dans sa nature originelle. Mais le manque à soi s’oppose à la présence à soi : le lieu de la vérité où l’on n’est pas s’oppose à notre identité maintenue de sujet de l’expérience, c’est-à-dire à la nécessité que nous restions toujours totalement le même – alors que nous partiellement un autre (là où nous sommes marqués, c’est-à-dire là où il nous est désormais impossible de nous reconnaître).

Par ” manque à soi “, je ne désigne pas simplement une nécessité structurale, le renvoi à l’infini que la réflexion est forcément pour elle-même. Non : c’est d’abord la sensibilité que j’entends par cette formule : celle d’une vérité dont mon emprise n’est pas le principe. Je le dis autrement : celle d’une vérité à statut non transcendantal.

De toute vérité que je puis concevoir, se dégage nécessairement la possibilité que je la conçoive, que j’en fasse donc ma réalité réflexive. Or dans cette réalité, si l’objet importe, le sujet est seul à compter. Le critère de la vérité est en effet qu’elle renvoie formellement aux conditions du savoir que j’avais préalablement (le concept de l’objet, la compatibilité de sa position avec ce que je sais par ailleurs du monde), de sorte qu’en toute vérité il s’agit seulement que la subjectivité soit pour elle-même sa propre fin. Cette nécessité peut revêtir plusieurs significations, dont la plus commune est son identification dans la notion de ” liberté “. Bref, tout cela constitue ce qu’on appellerait le transcendantal et que je définirais comme la nécessité structurale qu’en tout ce que je reconnais il aille finalement de moi comme sujet pur, c’est-à-dire comme sujet de l’expérience donc comme sujet indifférent (le propre de l’expérience, à l’encontre de l’épreuve, est de valoir pour quiconque).

Par quoi vous apercevez désormais le sens de ce travail sur la notion de sincérité : parvenir à la découpler de la nécessité transcendantale ! Voilà ce que j’appelle sincérité, concrètement : le caractère non transcendantal de l’instance subjective de la vérité.

Le lieu transcendantal de la vérité, si vous m’accordez désormais que la sincérité est à situer seulement là où l’on est sensible (par exemple dans les yeux, qui peuvent être sincères quand toute la personne est de mauvaise foi), je ne puis le nommer autrement que le ” par ailleurs “. N’oubliez jamais la formule de l’épreuve ” je suis désormais quelqu’un d’autre, mais ‘par ailleurs’ c’est toujours moi “. Qui, moi ? Mais le sujet de l’expérience, justement : celui qui va mensongèrement faire de ce qu’il a vécu un moment supplémentaire de sa vie, alors que c’est est l’impossibilité locale. Voilà : c’est de ce mensonge qu’il est question dans ma critique : celui là même qui consiste à ramener l’épreuve à l’expérience, et donc le sujet marqué dont le lieu de vérité s’appelle sensibilité, au sujet universel dont le lieu de vérité s’appelle entendement – pour présenter le problème dans le langage de Kant qui nous est le plus familier.

La sincérité consiste à exister là où l’on n’est pas, par exemple dans les yeux qui pleurent alors qu’on fomente un mauvaise action, et le mensonge consiste à se situer là où l’on est – là où est n’importe qui et d’où les thèses sont possibles comme telles : ” par ailleurs “.

Je parle ainsi de notre lieu réflexif, que la question de la marque nous fait désigner par la notion du ” par ailleurs “. Dès lors la sincérité réflexive consiste à reconnaître la non-vérité de ce lieu : ce qui ne vaut en moi que par ailleurs ne vaut tout simplement pas (ou plus exactement ne vaut que représentativement) parce que c’est l’instance réflexive qui se signale ainsi en ” oubli ” de ma capacité irréfléchie de vérité, qui est la marque – mon absence radicale à moi-même (en tels et tels lieux de mon corps et de mon âme, je ne suis pas revenu de l’épreuve dont la marque est le reste).

Ainsi est-on sincère de ne pas dénier le retrait impliqué dans toute présence à soi : je ne suis présent à moi-même qu’à m’échapper d’une certaine manière – c’est-à-dire qu’à différer du sujet sensible que je suis sans moi et dont je devrai mensongèrement dénier la légitimité. C’est donc au nom d’une capacité d’éprouver que nous pouvons dénoncer une capacité de réfléchir et donc d’expérimenter – puisque le sujet de la réflexion, celui qui est toujours le même dans la diversité des situations, est le sujet de l’expérience.

En quoi je ne fais l’apologie d’aucune immédiateté mais bien au contraire de la nécessité d’en rajouter réflexivement sur la réflexion : la problématique de la vérité étant réflexive, on la trahirait en décidant de ne pas tenir compte du niveau de pensée qu’elle impose, au nom d’une ” sincérité ” (s’en tenir à ce qu’on éprouve) qui serait alors un refus flagrant de penser. Non : la dimension réflexive de la question de la vérité implique que nous reprenions réflexivement la question de la vérité, parce que le sujet de l’éthique s’entend seulement à l’encontre (et donc depuis) le sujet de la morale et de la représentation. Je le dis autrement : la marque est impensable autrement que comme l’extériorité au ” par ailleurs ” que nous sommes assurés d’être pour nous-mêmes. Et la sincérité, c’est d’abord de maintenir l’irréductibilité d’une épreuve à une expérience, c’est-à-dire l’impossibilité de se prendre pour celui qu’on est seulement ” par ailleurs “. Je ne présente donc pas un refus mais au contraire une déconstruction de la nécessité représentative : on ne pose la notion de l’épreuve qu’en déconstruisant celle de l’expérience, et surtout pas en se dispensant de l’approfondir. C’est pourquoi on peut dire que la sincérité est interne à la réflexion alors même que la sincérité s’entend à son encontre : elle est interne comme la nécessité éthique de reconnaître son caractère mensonger. Usant d’un terme lacanien, je dirai ainsi que la sincérité est ” extime ” à la réflexion.

On ne pense que sans soi, vous le savez, que dans la solitude absolue. Là où l’on est consciemment c’est-à-dire en compagnie de soi-même, il est exclut que l’on pense et que le moindre rapport à la vérité soit envisageable. Si je suis seulement capable de vérité là où je suis marqué, c’est-à-dire dans un morceau de mort dont je suis malgré moi porteur (le reste, dans ma vie réfléchie, d’une épreuve dont je ne me suis jamais remis), cela signifie expressément que c’est mon absence à moi, et non ma présence à moi, qui est mon ” vrai ” lieu temporel, si l’on peut s’exprimer ainsi. Aux multiples lieux de mort dont mon corps et mon âme sont parsemés (les restes des épreuves que j’ai traversées) je suis – sans moi, c’est-à-dire en absence du mensonge réflexif qui me fait considérer ma vie comme un tout comprenant une multitude d’expériences heureuses ou malheureuses. Ainsi reconnaissons-nous qu’il n’y a de sincérité que dans le rapport à la mort, non pas en tant que terme irrémédiable d’une finitude que nous aurions à nous représenter courageusement, mais en tant que la mort est déjà là, toujours partielle, dans les moments où je ne ” semble ” pas, c’est-à-dire où il m’est impossible de me reconnaître.

A la temporalité de la présence à soi s’oppose donc la temporalité d’une absence radicale, que l’opposition du désormais (l’épreuve) et du toujours (l’expérience) permet de concevoir : je ne suis capable de vérité que là où je suis perdu depuis toujours puisque la marque a valeur d’origine (” désormais “). Si l’origine est en cause dans ce que je fais, alors je dirai que c’est vrai. Si c’est la nécessité représentative, alors je dirai que c’est mensonger – même si dans un deuxième temps je puis y reconnaître une vérité de second degré (toutes les représentations ne se valent évidemment pas et certaines sont irrécusables)

La mort, c’est la nécessité que je parle vraiment là seulement où il m’est impossible d’être le même que moi-même (c’est-à-dire le même que n’importe lequel de mes semblables). La mort est cette impossibilité, et elle est toujours partielle, parce que la vérité dont je suis alors capable est toujours déterminée (par exemple je suis capable de vérité philosophique et non de vérité scientifique, etc.), alors que ma vie est l’horizon de tout où tout peut toujours être redécidé (n’est donné que ce que je décide de considérer comme tel – autrement il n’y a que des éléments bruts d’une situation à quoi je donnerai le sens que je voudrai).

Si le rapport à la mort définit la sincérité, on pourrait dire qu’il y a des paroles sincères. La parole sincère est celle du mort qu’on est sans le savoir.

Reste à savoir quelle est cette parole de pure absence, autre que celle que je tiens toujours en gardant la conscience de ma constante existence. Qu’en est-il de la parole des morts ?

Les morts ont une parole différente de celle des vivants : alors que ceux-ci peuvent toujours se dédire, changer d’avis, s’excuser, en rajouter, etc., les morts sont définitivement les sujets de ce qu’ils ont dit. Sartre souligne cette puissance de la mort, dans son chapitre sur autrui de l’Etre et le Néant : on est dans l’irrévocable. Et si par exemple quelqu’un meurt avec une mauvaise idée de moi, eh bien pour l’éternité je serai un être mauvais, quand bien même les meilleurs arguments de défense me seraient disponibles, puisqu’ils peuvent seulement convaincre des vivants. Si donc c’est là où je suis mort que je suis seulement capable de vérité, cela signifie qu’une temporalité non mensongère serait, par rapport à moi-même, une temporalité de l’irrévocable. En quoi nous sortons déjà de la temporalité habituelle de la conscience comme présence à soi, pour laquelle tout sens est toujours ” en sursis ” (tant que je vis, je puis donner un sens nouveau à n’importe quel fait de ma vie).

Mais qu’est-ce qui est irrévocable, comme temporalité, dès lors qu’on doit bien accorder à la position réflexive que rien n’est jamais vraiment définitif (un criminel peut se racheter, etc.) ? La réponse s’impose d’emblée : que le temps ait été ouvert – afin que précisément une présence à soi, même mensongère, soit possible.

Toute sincérité renverra donc nécessairement à l’ouverture temporelle en tant que telle, et l’acte de cette ouverture est le paradigme de la position sincère.

Comment le temps est-il ouvert ? Il faut ce que soit par un acte, alors qu’une action suppose son ouverture toujours déjà assurée. Quel acte ? Il y a beaucoup d’actes qu’on peut envisager pour répondre à une telle question, par exemples le don, ou la fondation, qui présentent des caractéristiques bien intéressantes sous le rapport de la temporalité. Certes il s’agit là d’un don : si je puis être présent à moi-même, c’est d’abord que le temps m’a été donné. On peut aussi parler d’une fondation, si l’acte de fonder consiste à poser quelque chose de concret à quoi un ordre de possibilité pourra ensuite s’appuyer. Cependant l’indication est trop vague, et ne permet pas de comprendre une nécessité paradoxalement négative que j’énoncerai en disant que la réalité ne doit pas compter – puisque toute cette problématique trouve son sens dans l’irréductibilité de l’épreuve à l’expérience.

Il faut développer cette implication, dans laquelle vous retrouvez la distinction entre ce qui compte et ce qui importe, dont la sincérité sera avant tout la reconnaissance – puisqu’elle s’entend à l’encontre du mensonge réflexif pour lequel il n’y a jamais que le sujet qui compte. Si vous m’accordez cette évidence liée à la déconstruction de la réflexion que je viens de mentionner, vous reconnaîtrez qu’il s’agit finalement de quelque chose qui compte, et donc de quelque chose qu’il faudra entendre à l’encontre de tout ce qui peut importer.

Un don qui soit celui du temps lui-même, une fondation qui pose une possibilité qui sera notamment celle de la présence à soi, et une position de ce qui compte à l’encontre de ce qui importe, voilà ce qui se trouve impliqué dans la notion de sincérité, en tant qu’elle est d’abord reconnaissance de l’irrévocable. Il faut donc découvrir quel acte possède ces caractéristiques. J’en ajoute une dernière en faisant remarquer ce truisme que l’irrévocable est forcément rapport à la mort et donc à la finitude. Donc le don du temps, comme ouverture de ce temps, doit être en même temps fondation de possibilité et réalité de la mort… Vous avez compris que c’est de la promesse que je parlais.

Que la promesse soit ouverture temporelle va de soi. Si Rockefeller me promet 100 millions, c’est une autre vie qui s’ouvre devant moi, du simple fait qu’il me les ait promis (quitte à ce que tout s’effondre au cas où il ne tiendrait pas parole), une vie qui ne sera pas la continuité du monde à cause de la rupture littéralement transcendantale que la promesse aura introduire : tout commencera à partir de cet instant et les nécessités préalables, dont mon présent et mon futur sont habituellement les conséquences, ne comptent plus. Il faut donc aller plus loin : dans l’acte de promettre est expressément impliqué que la réalité ne comptera pas plus que le sujet lui-même. En quoi la promesse est un acte transcendantal (elle vaut comme origine pour tout ce qui est désormais possible) et en même temps la récusation de la nécessité transcendantale(le sujet lui-même ne compte plus, dès lors que la parole a été donnée). Car promettre, s’est s’engager non seulement contre la réalité qui aura pu changer entre temps, mais surtout à l’encontre de soi-même, puisque les dispositions dans lesquels on se trouve au moment de promettre peuvent ne plus être là au moment de tenir.

La réalité de la promesse réside dans l’opposition de ce qui compte et de ce qui importe : une parole est seule à compter et la réalité (l’ensemble de ce qui importe, subjectivement et objectivement) ne comptera pas, quelle qu’elle puisse être. La promesse correspond à l’analyse que je viens de faire en disant que la sincérité devait toujours être pensée à partir de la réflexion, c’est-à-dire de la nécessité transcendantale dont elle est pourtant la récusation : la promesse est un engagement subjectif à l’encontre de la réalité, donc en ce sens l’accomplissement pur du transcendantal, et précisément par là elle récuse la nécessité transcendantale parce que celui qui tiendra sera un autre, non pas empiriquement mais transcendantalement .

On pourrait en effet m’objectiver que les changements indiqués entre celui qui promet et celui qui tient sont purement empiriques : il s’agit par exemple d’une évolution psychologique. J’accorde même qu’on peut y voir un procès de ” purification ” du sujet : si je suis tenu par la seule parole que j’ai donnée il y a longtemps, alors que ma mentalité, mes habitudes, mes dispositions, etc. ont changé du tout au tout, c’est bien que je tiendrai ma parole comme sujet pur (et non pas, par exemple, comme sujet emporté par un élan de générosité). Mais l’essentiel de la promesse ne réside pas dans cette radicalité propre à celui qui promet, elle réside dans le don qui est fait à celui qui la reçoit. Or la disparition du donateur appartient constitutivement au don, qui autrement est une forme sournoise et oppressive de vente (on donne au moins contre de la reconnaissance – à la manière de ces parents qui donne de l’amour à leurs enfants contre un bon carnet scolaire à la fin du trimestre). Si la promesse consiste bien à donner sa parole, alors elle peut être un procès de purification transcendantal pour celui qui l’a accomplie, cela ne compte absolument pas. Car si cela comptait, cela voudrait dire que lui seul compte : il a utilisé l’autre au service de sa propre élévation spirituelle ! Je maintiens donc : la promesse est assurément production d’une subjectivité pure, mais toute la réalité de la promesse est que cela ne compte pas ! Voilà où je veux en venir : dans la promesse, c’est le transcendantal qui importe plus que tout (il importe éminemment) mais il ne compte pas.

La promesse est l’ultime moment de vérité, si vous m’avez accordé quasiment depuis le début de l’année, d’entendre toujours ce dernier terme à l’encontre de la problématique transcendantale, précisément parce qu’elle est l’identité de la ” réduction ” du sujet comme transcendantal (son institution comme sujet pur, si l’on préfère) et l’acte par lequel il ne comptera pas. Que l’acte du sujet soit sa destitution, et que cette destitution soit expressément située au niveau transcendantal, c’est ce qui m’autorise à installer toute la problématique subjective de la vérité en quelque sorte sous la bannière de la promesse.

Ce qui signifie très concrètement que la question de la vérité d’un sujet n’est rien d’autre que la question de son rapport à une promesse, celle par laquelle son temps à été ouvert comme étant le sien et pas simplement le temps des choses qu’on se représente à l’intérieur du monde.

Alors je le demande : qui promet, finalement, dès lors que le sujet de la promesse, même purifié, ne compte pas ? Non pas Monsieur Rockefeller habitant à telle adresse dans tel pays et faisant ainsi partie de la réalité, non pas le pur sujet dont ce moi ne serait que la représentation, mais un mort ! Car il faut être mort pour que ni le monde ni soi-même ne comptent. Quand on est vivant, on est empiriquement affecté par la réalité et on l’affecte en retour, de sorte qu’on ne cesse de changer aussi bien objectivement que subjectivement, et on est transcendantalement la seule instance qui comptera jamais dans l’infini du monde. La promesse qui ouvre la vie est donc la parole d’un mort en tant que mort – ce qui signifie très concrètement que seul peut promettre celui qui est mort, là où il est mort.

Si maintenant nous considérons cela en première personne, c’est-à-dire depuis l’impossibilité d’admettre que celui que nous sommes consciemment soit autre chose qu’un semblant (c’est celui que nous ne sommes que par ailleurs),nous découvrons la position subjective suivante : je ne suis capable de promettre qu’au lieu de la marque, mais jamais dans ma vie (dans ma vie je peux m’engager, mais le propre de ce que je fais en tant que vivant est d’être relatif à un certain état du monde, lequel est toujours changeant et si je me force à ne pas en tenir compte, selon un kantisme sourcilleux, j’aurai le sentiment de m’enfermer dans une position abstraite et mensongère).

Si je suis originellement une promesse pour moi-même, c’est depuis ce lieu d’origine qui est ma mort.

Ceux qui ne sont pas morts – et nous savons que la mort, comme la vérité dont elle est le lieu, est toujours locale – ne peuvent tout simplement pas promettre, parce qu’il faudrait alors que ce qui importe ne compte pas, alors que c’est la définition même de la vie que ce qui importe soit ce qui compte ! Je le dis autrement en me référant à ce que nous avons dit préalablement de l’acte : en tant qu’il est institution de l’origine, il n’est littéralement rien – que son impossibilité subjective, comme dans les exemples de Meursault ou de Jim que j’avais considérés.

Seul un mort peut ouvrir le temps du vivant et on doit nommer promesse cette ouverture, littéralement impossible, de cette même impossibilité dont l’origine se définit (promettre, c’est comme penser : personne ne le peut – ce qui ne signifie pas que cela ne soit pas réel mais seulement que cela ne relève pas de la catégorie du possible). Ainsi le temps subjectif serait toujours ouvert et donc donné par la promesse d’un mort, et la sincérité consisterait avant tout à le reconnaître… Est insincère celui qui considère que le temps (donc l’existence) va de soi – et l’étonnement d’être soi, parce qu’il n’est pas étonnement d’être ceci ou cela, est d’abord étonnement devant le don, par et dans une certaine promesse, de la temporalité de l’existence en général. Avant de pouvoir être dégradée en présence à soi (conversion de la pensée qui est absence à soi, en représentation qui est assurance cogitative de soi), toute temporalité doit procéder d’un tel acte.

On aurait tort d’imaginer que la dégradation de la temporalité originaire en présence à soi, ou si l’on préfère de la pensée en représentation, est contingente. C’est sa réalité même : car si je ne me représente jamais en présence de moi-même ce que j’ai pensé durant mon absence, il n’y a tout simplement pas de différence entre penser et ne pas penser ! Il suffit d’imaginer un écrivain qui ne lirait pas ce qu’il est en train d’écrire, un cinéaste qui ne verrait pas ce qu’il est en train de filmer, etc., pour se rendre compte de l’impossibilité de séparer l’acte de penser de la nécessité représentative. Donc la présence à soi de la conscience réflexive (et comme telle mensongère : voir la formule ” je pense ” qui est littéralement une impossibilité énonciative) est inséparable de la temporalité originaire qui est celle de la promesse : l’acte d’ouverture de la possibilité doit toujours se dégrader en horizon de la possibilité. La sincérité est non pas de se situer en absence à soi-même, ce qui est absurde, mais de reconnaître au temps mondain qui est celui de la semblance une origine où s’est décidé sur le mode de la promesse la nécessité qu’il y ait un temps mondain.

Que le temps mondain relève d’un don et non pas d’une nature objective (empirisme) ou transcendantale (criticisme), et que ce don soit seulement pensable selon la modalité de la promesse,voilà ce qui met au pied d’une alternative : la reconnaissance ou la dénégation. Nous sommes littéralement faits d’une promesse, ou alors nous avons simplement à vivre le moins mal possible… La sincérité c’est de reconnaître que le temps mondain n’est pas originel parce qu’il a dû être donné, et que ce don n’était pas l’acte métaphysique d’on ne sait quel Dieu mais qu’il se confondait avec l’institution d’un sujet comme fait de sa propre énigme – l’énigme de la promesse dont sa vie est la reconnaissance ou le déni. Nous sommes toujours dans le temps mondain, et nous sommes sincères quand nous reconnaissons la non-vérité de la semblance dont il est l’implication nécessaire. Il y a donc un temps de la promesse et un temps de la vie.

Cette distinction entre le temps de la promesse qui est toujours un temps de mort et qu’il faut donc désigner comme une antériorité absolue et la présence à soi qui est toujours un temps de vie, on voit bien qu’elle correspond exactement à la différence entre la marque et la subjectivité – entre le sujet susceptible de vérité et, par ailleurs, le sujet susceptible de savoir (et notamment de se savoir lui-même être conscient). La vie est donc ouverte à l’intérieur de la même personne par cette distinction de la marque et de la subjectivité, du point de la mort et de l’espace de la vie, de l’antériorité absolue et de la finalité mondaine.

Nous ne sommes que (par) la différence de la singularité de la marque et du caractère ordinaire de la subjectivité. Nous sommes toujours en état de trahison envers nous-mêmes, envers la marque d’une épreuve dont nous ne sommes jamais revenus (une mort, donc) et à laquelle nous ne cessons d’être infidèles, et en même temps nous sommes capables, là où nous sommes marqués c’est-à-dire là où nous ne sommes pas, d’une vérité dont nous dirons rétrospectivement qu’elle détermine la promesse. Ainsi apercevons-nous que la promesse, précisément parce qu’elle se tient à l’origine et non pas au début se conjugue toujours au futur antérieur : l’enfance de Picasso, par exemple, aura été celle d’un peintre, de sorte que comme peintre, il aura tenu la promesse qu’il était comme enfant.

A la trivialité qui est une misère et à la sublimité qui est une imposture correspond, dans la représentation que nous pouvons nous faire de cette nécessité, celle de se prendre pour le sujet qu’on a conscience d’être et celle d’en rester à la marque, c’est-à-dire au fait de n’être jamais revenu d’une certaine épreuve. Autrement dit : nous sommes notre propre promesse parce que nous sommes littéralement faits de la distinction de ce qui compte et de ce qui importe, et que ce qui importe ne vaut comme tel qu’à avoir été institué par ce qui compte.

S’en tenir à ce qui compte serait une imposture déniant que ce qui compte est ouverture à un espace qui est celui de ce qui importe, comme est une misère le fait de s’en tenir à ce qui importe en déniant que son ordre ait dû être ouvert (par exemple on ne vit que pour satisfaire ses besoins en ” oubliant ” soigneusement de se demander pourquoi on a raison et non pas tort de vivre). Notre temps n’est pas simplement un temps ouvert par une promesse qui nous serait extérieure et à la quelle nous resterions dès lors asservi (par exemple ma vie serait asservie à la libéralité de Rockefeller), mais il est ce qui va la constituer dans son temps propre qui est celui de l’origine par sa singularité – par l’impossibilité de sembler, de s’en tenir à celui qu’on sera toujours ” par ailleurs “.

Voilà en quoi consiste la sincérité, par conséquent : un étonnement devant le caractère double de notre temps subjectif, qui est le temps de ce qui compte en train de se dégrader en temps de ce qui importe, et le temps de ce qui importe en train de se référer au temps de ce qui compte. La misère des uns (les triviaux qui s’en tiennent à ce qui importe) et l’imposture des autres (les sublimes qui s’en tiennent à ce qui compte) sont deux manières de ne pas s’étonner de l’acte de dégradation et de référence du temps à lui-même – deux manières de n’être pas sincères.

Cette temporalité, à mon avis, est toujours celle d’une métaphore. Pour terminer la séance d’aujourd’hui, je vous indique laquelle :

Si vous acceptez de distinguer le temps de la vie d’un autre temps qui lui est à la fois intérieur et étranger et dont la vie en tant que vie est littéralement l’impossibilité (dans le monde, tout est mondain), alors vous découvrez une notion qui me paraît capitale : celle de l’existence. L’existence, je la définis uniquement à l’encontre de la vie, et réciproquement. Ainsi ce stylo n’est rien d’autre à mes yeux qu’un instrument d’écriture et il est impossible que je le voie autrement. Certes, je peux le voir comme marchandise ou même comme exemple philosophique, mais cela ne change rien au fait qu’il relève transcendantalement de moi, de mon emprise. Qu’en est-il alors de son existence propre ? Car enfin, il existe forcément, puisque je puis l’utiliser… Eh bien ma vie (mon emprise) n’est pour lui rien d’autre que l’impossibilité de son existence. Si donc vous reconnaissez cette extériorité réciproque de la vie et de l’existence, vous reconnaissez du même coup qu’une autre temporalité est envisageable en dehors de celle de l’emprise qui est toujours celle des finalités et donc de la réflexion transcendantale (en tout ce que j’utilise il s’agit finalement de moi). Ou bien vous parlez d’une éternité inconnaissable à cause de son caractère massif et fermée sur elle-même, comme le fait Sartre quand il essaie de décrire ce qu’il appelle l’en soi – mais alors vous parlez seulement de la temporalité déniée de la vie – ou bien vous reconnaissez dans la vie, qui est donc compréhension de l’existence (l’utiliser pour écrire, c’est bien comprendre cet existant qui est actuellement posé sur la table), un autre temporalité…

Or l’étonnant est que ce rapport entre la vie et l’existence, entre ces temps que j’ai déterminé comme temps de la vie et temps de la promesse, est un rapport singulier.

Je viens de parler de compréhension. Mais vous voyez bien que ma compréhension du stylo consistant à en faire un exemple philosophique n’est pas la même que celle du marchand qui m’a l’a vendu, et qui le comprenait comme une marchandise. On parle de la même existence, pourtant. Mais comprise d’une manière radicalement différente. Vous voyez où je veux en venir : la vie est la métaphore de l’existence.

La métaphore, comme production d’un sens inouï, singulier, échappant au savoir tout en ne lui étant pas absolument étranger, c’est le rapport qu’il y a entre le temps de la vie et le temps de l’existence. Voici donc ma conclusion pour aujourd’hui : que le temps de la vie soit, comme métaphore c’est-à-dire production d’une singularité irréductible, la métaphore de la promesse originelle. Laquelle adviendra enfin à elle-même comme originelle – c’est-à-dire irréductible. Voilà ce qu’est à mon avis la sincérité : reconnaître l’étrangeté métaphorique de notre vie. Pas de sincérité sans qu’on ait reconnu l’énigme de ce qu’on est en train de signifier sans le savoir – l’énigme de la promesse inconnue que nous tenons sans jamais l’avoir voulu, nous parce qu’elle nous est plus propre que la conscience que nous avons de nous-mêmes.

Voilà où je voulais en venir : notre temps, si on le pense selon la promesse que chacun de nous est pour lui-même (la marque, la vie) ou, ce qui revient au même, selon la distinction de ce qui importe et ce qui compte, est temps de métaphore !

Autrement dit : chacun est temporellement sa propre métaphore.

Eh bien la sincérité est de ne pas le dénier. Car la trivialité est de tout ramener au savoir (les triviaux savent bien ce que c’est que ” la vie ” – et d’ailleurs ils veulent toujours que les autres soient aussi médiocres qu’eux, puisqu’ils ne cessent de se dire ” normaux ” et par là de se présenter comme des modèles identificatoires) alors que la sublimité est de tout écarter du savoir, en arguant qu’il est toujours trop étroit, toujours réducteur. Or sans savoir, pas de vérité, puisque pour reconnaître la vérité d’une métaphore (lion), il faut son équivalent conceptuel (fort et courageux) comme non vrai.

La notion de sincérité comprend en elle que chacun soit sa propre métaphore, et que la tension de ce qui compte et de ce qui importe, en tant qu’elle est une, soit le temps de la métaphore.

Etre sa propre promesse, c’est être déjà sa propre métaphore – non pas comme un acte qui aurait eu lieu à l’origine et dont nous serions en quelque sorte la conséquence, mais bien actuellement. Ce qui signifie qu’il serait aussi absurde d’être positivement sa propre métaphore qu’il serait misérable de ne l’être aucunement – comme si exister était ” normal “. La sincérité n’a pas d’autre objet que ce statut du temps subjectif comme temps de l’acte métaphorique.

La prochaine fois, je terminerai cette étude de la sincérité en indiquant ce qui se trouve impliqué dans cette idée de l’acte métaphorique.

 

Je vous remercie de votre attention.