Visage, figure et masque

 

Examinons la différence qu’il y a entre la figure, le masque et le visage, la face renvoyant seulement à la frontalité d’une existence sans vérité propre (on emploie ce terme comme substantif à propos d’une bête qu’on voudrait uniquement désigner selon sa force et son anonymat).

La figure renvoie d’abord au rapport, qu’on appelle précisément de figuration, entre l’universalité du type et la singularité de son représentant, qu’il s’agisse d’une idéalité (telle figure que j’ai tracée maladroitement est une ellipse) ou de l’humanité (tel grand blessé n’a plus figure humaine). Parler de la figure de quelqu’un et non de son visage revient donc à le considérer comme un représentant de l’humanité, par exemple un inconnu en face de qui on peut être assis dans l’autobus. Le masque par contre renvoie au savoir, et c’est ainsi qu’il s’oppose au visage : en ” dé-visageant ” ce voyageur, je puis dans une certaine mesure connaître son origine géographique, estimer sa place dans l’échelle sociale, son degré de culture, d’ouverture d’esprit ou de mesquinerie, d’égoïsme ou de générosité, me faire une idée de son savoir et de ses choix existentiels (c’est un intellectuel, son rictus est méprisant…). Or un masque bien fabriqué donnerait lieu aux mêmes réflexions. On aperçoit dès lors la différence avec le visage que nous indiquerons en rappelant qu’on n’a jamais vraiment raison que sans le savoir (sinon il s’agit de la représentation d’avoir raison) – raison selon le visage de celui qu’on rencontre réellement et non le masque, dont nous rapprocherons alors le concept du ” discours du maître ” (Lacan nous apprend que celui-ci s’énonce depuis une place qui est celle du ” semblant “). Le visage est donc la personne elle-même, sans le savoir par conséquent, mais pas sans la détermination : ses traits constitutifs et toujours-déjà là sont l’identité sexuelle, qui renvoie à l’impossibilité originelle et finale dont la psychanalyse est la théorie, et le regard, qui renvoie à l’alternance des positions de savoir et de non-savoir (par exemple le médecin regarde dans la gorge avant de voir qu’il s’agit d’une angine).

 

© Editions L’Harmattan, Paris