Cours du 13 février 04

 

Enigme et mystère (3)

Parmi les humains, on en trouve qui affrontent les énigmes. Dès lors ils font autorité et la réponse qu’ils apportent à l’énigme est par là même vraie. On appelle vraie une réponse dont l’auteur ne s’est pas dérobé devant l’énigme qui lui a parlé, parce qu’elle est une interpellation singulière à sa propre vérité, c’est-à-dire à sa propre et définitive étrangeté. Pour cette raison, il n’y a pas de différence entre de ne pas se dérober devant l’énigme et répondre à la question qu’on est de soi-même : à l’énigme, c’est toujours en première personne qu’on répond. Mais comme c’est forcément en troisième personne qu’on réfléchit, celui qui n’aura pas reculé devant les énigmes restera celui qui n’aura pas reculé, sans rien avoir ni savoir d’autre.

Pour le mystère, c’est le contraire : il n’interpelle pas le sujet dans sa singularité mais au contraire dans l’universalité de sa condition. Les mystères de la nature nous font partager la même soumission à l’ordre physique et annoncent entre nous et toute choses une communauté originelle de nature que nous pouvions méconnaître, exactement comme les mystères religieux font admettre au croyant une communauté  » spirituelle  » non seulement entre lui et les autres, non seulement entre lui et toute chose, mais encore entre lui et le principe de ces identifications qui est Dieu. Le mystère de la foi, par exemple, c’est que nous soyons déjà de nature divine – sauf que pour l’instant nous l’ignorons plus ou moins.

L’opposition entre l’énigme et le mystère est donc celle de la nécessité d’advenir à soi en étrangeté à soi et donc aussi à tout autre (énigme), et de la nécessité d’advenir à soi en identification à soi et donc aussi à tout autre (mystère).

Je donne le principe de cette opposition : alors que la vérité divise (énigme) le savoir rassemble (mystère).

Si banale qu’elle soit l’énigme est distinguée (l’énigme de la sphinge appelle Œdipe à lui-même) ; si rare qu’il soit le mystère est commun (le mystère de la foi appelle n’importe qui au même salut en Dieu).

Or l’opposition du distingué et du commun, tout le monde sait qu’elle est question d’origine.

 

Définition du mystère : passage de l’impossibilité à la nécessité de l’origine

Est mystérieux ce par quoi on est toujours déjà pris, ce vers quoi on est toujours en train de s’approcher comme à ce qui a depuis toujours décidé de notre vraie nature. C’est bien sûr de l’origine qu’il s’agit : mystérieux et originel sont en ce sens interchangeables. Et comme il n’y a de mystère que dans l’horizon d’une révélation qui viendra de l’extérieur, par opposition à l’énigme qu’il s’agit de résoudre soi-même, on peut dire aussi que c’est toujours l’origine qui sera révélée à la fin des temps : celle qui est toujours au-delà de toute empirie mais qui la conditionne. Au moment de la révélation, j’apercevrai enfin ma vraie nature, c’est-à-dire une certaine nature dont je saurai alors qu’elle est ma vérité parce que je me tenais depuis toujours dans son ouverture, que je l’aie su ou pas.

 

De sorte qu’on peut définir le mystère en disant que l’origine est sa propre promesse : l’origine, c’est qu’il y ait une promesse d’origine. Les définitions de l’origine et du mystère sont inséparables, le second fournissant en quelque sorte l’aspect subjectif de la notion, puisqu’il renvoie indistinctement à l’approche, à la promesse, et à l’idée d’une vérité originelle dont on serait réellement soi-même de participer concrètement.

On a compris que l’opposition de l’énigme et du mystère tient à cette opposition entre une vérité qui soit vraiment celle du sujet et une autre qui soit réellement la sienne : dans le cas de l’énigme, la promesse que le sujet est pour lui-même est celle de cette étrangeté définitive à soiqu’on indique à travers l’idée de destin, alors que dans le cas du mystère elle est tout au contraire l’idée d’une retrouvaille de soi. Le moment de la révélation est en effet celui d’une reconnaissance : on aperçoit enfin quelle était depuis toujours notre réelle vérité. Cela signifie que la notion de vérité s’entend alors d’opérer un rassemblement du sujet avec son origine laquelle, originellement définie par sa perte, devient alors vérité du sujet donnée c’est-à-dire réelle.

L’impossibilité de l’origine est le principe du mystère, mais le mystère lui-même, c’est qu’il appartienne à l’origine d’être en même temps la promesse de sa propre rédemption, précisément en tant qu’origine c’est-à-dire en tant qu’impossible. L’impossibilité de l’origine, en effet, va de soi : elle est ce qui conditionne le commencement, avant quoi, par définition, il n’y a rien. Précession impossible, par conséquent, et par là même décisive : il appartient à l’origine de décider de la vérité (par exemple l’origine de la géométrie est une certaine décision quant à la nature de l’idéalité et au type de légitimité que sa mention suscitera). Si la notion d’origine est énigmatique, l’origine elle-même est toujours mystérieuse : la démarche régressive l’approche constamment mais, de s’appliquer forcément à des réalités déjà concernées, la manque par là même. On le voit bien quand on s’interroge d’une manière un peu naïve sur l’origine du langage : pour qu’ils commencent à parler à partir d’un certain besoin qu’ils auraient ressenti on suppose généralement aux  » premiers hommes  » des conditions subjectives et des préoccupations qui n’ont de sens qu’à valoir pour des sujets déjà parlants, ou sur celui de la géométrie qui suppose une certaine  » faculté  » de passer du réel à l’idéal (par exemple du rond au cercle). Mystère assurément, celui que constitue le moment où l’on se met à parler ou à idéaliser, qui est toujours antérieur à lui-même puisque seul un locuteur ou un sujet pur peut se mettre à parler ou à concevoir. Lever le mystère, c’est alors rendre au locuteur sa propre origine – laquelle ne sera alors plus mystérieuse du tout et ne sera donc plus une origine. Tout mystère est promesse d’une révélation et il n’y a de révélation que comme abolition du mystère. Concrètement cela revient à dire qu’il appartient forcément à l’origine de se donner d’une manière téléologique, comme une  » nature  » toujours à venir dont le mystère est le pressentiment.

La dimension métempirique et donc mystérieuse de l’origine la range du côté de la promesse, dont je rappelais l’autre jour qu’elle s’entend seulement de ne pas se soumettre à la réalité. Mais cette impossibilité qui définit la promesse comme un acte originel d’ouverture du temps (comme avenir par opposition au futur), elle dit par là même ce qu’il en est réellement des choses de la vérité desquelles elle aura décidé. Sans le savoir, il appartient donc à ces choses impliquées dans le mystère (et on peut dire cela de n’importe quoi, à la limite, dès qu’on se pose la question d’une origine proprement eidétique, irréductible à tout commencement empirique) d’être en route vers leur propre origine. Il est en effet impossible que la vérité d’une chose ne soit pas le sens de son devenir, puisqu’elle s’entend comme promesse et que la promesse l’est toujours d’une certaine réalisation. C’est pourquoi il faut dire que l’origine renvoie à la réalité véritable des choses et non pas à leur vérité. Les êtres qui relèvent du mystère ont avec leur origine un rapport de finalité : elle constitue en quelque sorte le télos dont le mystère lui-même est l’efficience. Ce qui est en route vers sa propre origine, je dis que cela relève du mystère. Par exemple, la science nous approche de plus en plus de la nature dont elle fait à la limite l’objet de sa révélation, et c’est bien en tant que nous sommes nous-mêmes des êtres originellement naturels que nous pouvons parler des mystères de la nature et de leur dévoilement progressif par la science : à l’horizon de la science comme dévoilement progressif des mystère de la nature, il y a notre naturalité entendue comme claire coappartenance de tout à tout. En pratiquant la science nous sommes donc en route vers notre origine naturelle, exactement comme on peut imaginer qu’en priant le croyant soit en route vers sa propre origine divine, la vie éternelle s’entendant alors de ce qu’il n’y ait plus de mystère mais seulement la vérité en tant que réelle – et ainsi de suite selon la détermination qu’on voudra bien donner à l’origine.

La notion qui s’impose quand on a reconnu que l’origine et le mystère étaient finalement le même, c’est celle d’une destinée de vérité. Par destinée, je rappelle qu’il faut entendre le gouvernement de l’existence par le savoir. Et certes, il appartient au mystère d’avoir toujours déjà inscrit l’origine sous le régime du savoir ; la corrélation de la promesse et du savoir, c’est la destinée où réalité et vérité cesseront enfin d’être distingués. Par opposition, le destin s’entend bien d’une promesse, mais sans le savoir – dans l’irréductible de la division.

 

Avoir pour destinée sacrée la promesse d’un autre ou pour destin athée la sienne propre

Si nous radicalisons l’idée de destinée à partir de nécessité pour le savoir d’avoir toujours déjà posé la question de l’origine en termes de savoir et donc, puisque l’origine est justement ce qui conditionne le savoir et par là lui échappe, en termes de révélation, nous voyons qu’il appartenait déjà à l’origine, comme promesse et donc ouverture du temps, d’être en quelque sorte déjà son propre savoir puisqu’elle finalisait et qu’il est impossible que nous ne nous représentions pas la finalité autrement que dans les espèces du savoir ( » tout se passe comme si… « ). Mais la finalité qui caractérise l’origine, où mène-t-elle, sinon justement à l’origine maintenant avérée comme nature – si l’on se place du point de vue de la promesse tenue ?

L’origine, dont la définition est qu’elle soit impossible à elle-même, a donc pour réalité d’être nécessaire à elle-même ! Eh bien, c’est ce passage que j’appelle  » mystère  » : la nécessité de la promesse comme réalité de l’origine – à laquelle il appartient donc de devoir disparaître comme telle pour devenir, une fois le mystère levé dans la révélation, une nature allant de soi.

Tout mystère est donc une promesse qu’on peut penser subjectivement en lui reconnaissant un sujet activement dévoilant (Dieu, le progrès des connaissances scientifiques, l’Etre heideggerien etc.) : ce sujet, toujours autre, promet à l’humain qu’il le fera un jour accéder à sa vraie nature. Se tenir dans cette promesse, c’est ce qu’on peut appeler vivre selon le mystère. La promesse étant métempirique (elle se définit de ce que la réalité ne compte pas), il lui appartient par conséquent de poser un ordre qu’on peut dire celui du sacré. Le sacré, c’est simplement le caractère métempirique de la promesse et donc l’impossibilité originelle de cela à quoi on se reconnaît pour vérité réelle (pour nature véritable) d’être assujetti.

On aperçoit ainsi que la reconnaissance du mystère est celle de notre assujettissement : c’est toujours d’un autre (ou de moi en tant qu’autre, comme dans l’hypothèse d’une découverte radicale que je serais sur le point de faire) que j’attends la levée du mystère : sa promesse est ma vérité. Que cet autre soit ma propre origine ne change rien à son essentielle impersonnalité ni surtout à la mienne. Dire qu’il y a du sacré (et il y en a partout, dès lors qu’il est toujours possible de repérer des eidétiques c’est-à-dire des origines), c’est dire qu’il peut bien être réel que nous décidions de nous-mêmes, mais que cela ne peut pas être vrai – parce que nous avons une  » nature véritable » qui est celle de notre mystère ! Car bien sûr la reconnaissance du mystère est inséparable de sa propre incidence subjective : si je parle du mystère de l’origine du langage, je parle de moi comme locuteur littéralement fait de ce mystère, et ainsi de suite selon tous les exemples qu’on voudra prendre. Dire que je suis mon propre mystère revient donc à dire que j’ai pour nature d’accomplir la promesse d’un autre (de la nature, de Dieu, ou de tout ce qu’on voudra). Or cela, il faut l’appeler une destinée. On peut en présenter la conscience à travers cette question, qui serait donc la question réelle de chacun (par opposition à sa vraie question) : de quel autre ma vie a-t-elle à tenir la promesse ?

La destinée s’oppose radicalement au destin, comme le rassemblement eschatologique avec l’origine s’oppose à l’étrangeté définitive de la marque et donc, pour un sujet, de sa capacité de vérité. Dans le mystère, la vérité révélée apparaîtra à la fin comme n’étant plus une vérité mais une réalité, alors que dans l’énigme il n’y aura jamais de réconciliation parce que c’est toujours en étrangeté à soi-même qu’on répond à sa question dès lors vraie.

L’opposition est donc claire : entre la question que chacun est réellement pour lui-même (mystère) et celle qu’il est vraiment (énigme), entre la destinée dont un autre (l’origine comme nécessité) soit le sujet et un destin dont le sujet lui-même (la marque comme contingence) ait sans lui à être le sujet dès lors vrai.

On répond à l’énigme par une vérité personnelle dans laquelle il est par principe exclu qu’on se reconnaisse jamais parce qu’elle scelle un destin, alors qu’on répond au mystère par un savoir commun dans lequel il est par principe nécessaire qu’on se reconnaisse toujours, parce qu’il scelle une destinée.

 

Une responsabilité désinvolte (mystère), une responsabilité responsable (énigme)

Il n’y a pas de différence entre reconnaître les mystères de la nature ou de la foi et se reconnaître toujours déjà fait de nature ou de divinité, et par conséquent toujours déjà voué à une vie disons, pour aller vite, écologique ou religieuse ; il n’y a pas de différence entre reconnaître les énigmes et ne pas se reconnaître dans la réponse dont seuls les autres sauront pourquoi elle était vraiment la nôtre – puisque c’est de son étrangeté que l’énigme a depuis toujours institué la question de la vérité. Avoir affronté l’énigme, c’est mener une certaine vie d’incompréhension et de vérité, la première conditionnant subjectivement la seconde. Une vie entière d’écriture, par exemple, c’est une sorte folie qu’il est impossible de ne pas apercevoir comme un destin : quelque chose de fatal, qui arrive de l’extérieur, qu’on ne comprend pas, avec quoi il faut faire désormais mais qu’on se trahirait soi-même de récuser. Dans le mystère, la désinvolture toujours possible ne serait pas une trahison de soi comme sujet singulier, mais la trahison d’une essence qui est originellement la nôtre et dont la vérité est qu’elle soit commune (nous sommes des connaturalités avec l’univers pour le premier exemple, des créatures de Dieu pour le second).

Le mystère est une responsabilité : se tenir dans le mystère, c’est s’être fait le gardien de la promesse – par laquelle on se constitue comme sujet général d’être concerné (par exemple pécheur promis à la rédemption, etc.)

Finalement et à l’encontre de l’énigme, tout mystère est promesse d’en être ; elle sera tenue par un Autre qui peut être Dieu, la nature, l’Histoire, ou toute autre entité, même triviale comme une décision de marketing ou farfelue comme un type d’objets de collection, qu’on voudra mettre à cette place de ce qui compte : dans le mystère il ne s’agira finalement que d’avoir été compté et par là d’être institué comme étant semblable en vérité originelle à tout ce qui l’aura été également. Ainsi sommes-nous tous pécheurs et avons-nous tous à espérer dans la promesse de l’Evangile, pour prendre l’exemple du mystère chrétien. Et certes, puisqu’il est question de vérité il doit l’être aussi d’une marque – et d’une marque originelle, antérieure aux marques des épreuves d’initiation dont j’ai parlé précédemment. Dans cet exemple, ce serait le baptême, et il est sûr qu’à toute mention d’un mystère doit correspondre l’indication d’une marque originelle : l’angoisse devant l’infini du ciel ou la fragilité devant la maladie peuvent être vues comme des marques de la nature en nous, si l’on mentionne les mystères naturels. Ce sont des marques communes : elles attachent la vérité au sujet, mais d’une manière commune (tous les chrétiens sont baptisés, tous les vivants sont susceptibles de maladie…) et par là en font des sujets relevant d’une vérité commune et donc réelle puisqu’elle sera réalisée dans la promesse, elle-même entée dans la marque qui identifie chacun pareillement à tous les autres.

L’énigme aussi est une promesse, sauf que c’est à celui à qui elle s’adresse dans sa propre marque (par exemple la boiterie d’Œdipe) qu’il reviendra de la tenir, dans une irréductible étrangeté à lui-même. Lui, il donnera de la vérité, tandis que le sujet du mystère en recevra. Le paradoxe de l’opposition de l’énigme et de la promesse est donc qu’il ait lieu à chaque fois dans la même dimension de la vérité promise, sauf que dans le cas de l’énigme la vérité s’entend d’exclure le savoir, et par là de faire naître le sujet désormais pour lui-même ouvert à son propre gouffre. Tout au contraire, le mystère est bien la promesse, comme telle assurément abyssale, qu’il n’y ait un jour plus de gouffre…

Il n’y a pas d’autre mystère que celui de l’origine, disais-je, et on peut traduire cela en disant qu’il n’y a pas d’autre mystère que celui d’être faits d’une certaine nature dont il faut nommer vérité qu’elle soit notre réalité ultime et donc anonyme (puisqu’il n’y aura plus de gouffre). Contre cela, on dira qu’il n’y a pas d’autre énigme que celle d’être soi, parce que toute énigme qu’on rencontre met le sujet au pied de son propre mur, l’enjoint à être vraiment lui-même dans l’impossibilité expresse que cette promesse soit tenue en lui. Par exemple Hegel affronte l’énigme d’un sens à l’Histoire ; et il n’y a pas de différence entre dire qu’il ne s’est pas dérobé devant elle et dire qu’il en a donné une réponse hégélienne – celle qui consiste précisément à s’être installé dans l’impossible de la pensée, tel que nous pouvons l’énoncer en disant qu’il appartient à l’Histoire d’avoir été hégélienne depuis toujours (lui, il ne pouvait dire cela et cette impossibilité, nous savons que c’est sa pensée). On peut dire pareillement que Freud affronte l’énigme de l’étrangeté du sujet à la conscience qu’il a de soi et que, d’avoir reconnu que là était vraiment sa question, qu’il se donne le destin que nous savons : celui de l’impossibilité réelle pour le psychisme d’être dit enfin par lui  » freudien « .

Tenir la promesse singulière qu’on est depuis toujours sans le savoir, c’est un combat. J’ai dit que l’opposition subjective du mystère et de l’énigme est qu’on approche le premier alors qu’on affronte la seconde. Et l’affrontement se fait de récuser une réponse qui eût été commune. C’est ainsi que Hegel pense contre une conception providentialiste de l’Histoire (et donc de lui-même), ou Freud contre une conception romantique de la psyché (et donc de lui-même). Voilà ce qu’on peut nommer liberté : la conquête de l’énigme sur le mystère.

Car comment ne pas nommer  » liberté  » le fait d’être vraiment sujet – c’est-à-dire sujet d’une chose dont on soit sujet en vérité : l’autorisant (vérité) et non pas s’y exprimant (réalité). Il faut donc entendre ce terme de liberté comme une conquête, et pas comme un état – qu’il faudrait dès lors qualifier de mystérieux ! Or ce n’est plus de mystère qu’il s’agit dans la liberté, mais d’énigme…

De ce que l’œuvre soit vraie réponse et non pas réponse vraie (par exemple définir Hegel comme un penseur et non comme un endoctrineur), elle se trouve à son tour forcément énigmatique. Toute œuvre est une énigme, puisqu’elle n’est rien d’autre que le réel d’une impossibilité – celle de dire le mot de l’énigme que par ailleurs, et dans la seule dimension du savoir, nous avons désormais la possibilité de dire (la nature hégélienne de l’Histoire, la nature freudienne du psychisme, etc.). Contre le sujet commun du mystère, l’élu est fait expressément de cette impossibilité, et c’est en quoi il marque, autrement dit fait autorité.

Dans le mystère au contraire, il y a bien une promesse, mais c’est celle d’un savoir dont, par opposition à celui de l’énigme qui est impossible et donc propre (en première personne) la nature ultime soit d’être commun. Le savoir dont on nomme  » mystère  » la promesse est commun au sens où il est sa propre possibilité, et par là même constitue une réponse valable pour n’importe qui, pour le sujet de la réflexion en général qui s’en trouvera rassemblé avec sa propre vérité, dans une nature enfin véritable. . Si nous prenons comme exemple de mystère celui de la foi chrétienne, cela revient à dire que le croyant qui s’en approche s’approche par là même d’une vérité qui était la sienne depuis toujours sans qu’il le sache, parce qu’elle était aussi bien celle de n’importe quel autre pécheur pris dans l’efficience historique de la Rédemption. Il ne savait pas que la dimension de l’Histoire (je m’efforce de garder le même support d’exemplarité) était le réel de la promesse divine comme accomplissement du temps, accomplissement apocalyptique dont on peut dire qu’il est pour le sujet la restitution de sa vérité originelle qui est d’être une créature de Dieu ayant péché et devant être sauvé. Or cette vérité chrétienne, elle vaut exactement de la même manière pour le sujet et pour son voisin de palier, qui a aussi pour nature véritable d’être appelé à la vie divine à travers la Rédemption.

Le mystère est toujours la promesse, pour celui qu’il touche, qu’il accède enfin à sa nature véritable. Dans l’énigme, la promesse est d’être vraiment soi – ce qui est exactement le contraire.

Le mystère est pour le commun, qui a à se retrouver lui-même et à jouir d’être assujetti à sa l’origine qui l’identifie à n’importe qui ; l’énigme s’adresse au sujet distingué qui répondra sans reculer à la question qu’il est singulièrement pour lui-même, sans aucun profit d’aucune sorte, pour rien.

Le mystère vaut pour l’homme en général alors que l’énigme vaut pour le sujet. Et certes, être humain est une responsabilité, et très lourde – celle de préserver le mystère notamment contre sa réduction à la platitude sinistre les problèmes. Mais c’est une responsabilité en quoi il ne va de soi que comme  » en tant que « . Responsabilité désinvolte, alors, que nul ne confondra avec la vraie responsabilité, celle de l’énigme, qui est celle d’advenir définitivement à sa propre étrangeté dans une œuvre dont on n’a rien à faire.

Je vous remercie de votre attention.